"Marine Le Pen, notre faute" : un socialiste pourfend la "ligne social-libérale" et la "caste" au pouvoir

Le secrétaire général adjoint de l'Elysée Emmanuel Macron, ancien banquier d'affaires, avec François Hollande (AFP PHOTO/ ALAIN JOCARD)

Premiers règlements de comptes au Parti socialiste après le score piteux du PS (13,9% ) aux européennes du 25 mai ?

Mehdi Ouraoui, 33 ans, membre du conseil national du PS et ex-directeur de cabinet d'Harlem Désir rue de Solférino, publie le 12 juin un ouvrage intitulé : Marine Le Pen, notre faute : essai sur le délitement républicain.

La phrase en exergue (signée de la présidente du Front national)  donne le ton : "si le PS et l'UMP étaient bons, le FN n'existerait pas". Interview d'un socialiste dénonçant une "caste au pouvoir qui ne sert plus qu'elle-même"  et une gauche qui a renoncé à ses valeurs.

Votre livre sur le "délitement républicain" et la montée du FN a été écrit avant le scrutin des européennes. Surpris, malgré tout, que le Front national ait obtenu un suffrage exprimé sur quatre ?

C'était prévisible, mais jamais agréable. C'est le second 21 avril qu'on subit, après l'élimination de Lionel Jospin au premier tour de la présidentielle en 2002. J'ai passé plus de la moitié de ma vie dans ce parti, auquel j'ai adhéré à 16 ans. C'est une meurtrissure de se retrouver avec un score aux européennes quasi-deux fois moindre que celui du parti de Marine Le Pen.

Il y a un déni au sein du gouvernement. Il n'a tiré aucune leçon ni de la première lame, celle des municipales, ni de la seconde, celle des européennes. A la troisième, celle de la présidentielle, nous sommes partis pour être éliminés au premier tour.

Vous dites que la gauche socialiste au pouvoir a renoncé à la bataille culturelle ?

Oui, nous avons renoncé à mener la bataille culturelle sur les valeurs de gauche alors qu'en face, un bloc idéologique se recompose autour des idées de l'extrême-droite , des anti-Lumières comme dit l'historien Zeev Sternhell.

Or soit la gauche renonce à se battre sur ses idées - on l'a vu sur l'abandon du droit de vote pour les étrangers aux élections locales par exemple, soit elle en a honte. Prenons la refondation de l'école : Vincent Peillon avait plein d'idées intéressantes, mais il n'a pas été soutenu. Ce qu'il a fait, comme la création de postes ou la réforme des rythmes scolaires, nous n'en avons pas été assez fiers. On a lâché le soldat Peillon !

Pourtant, le chantier est vaste tant l'école reproduit les inégalités et n'est plus synonyme d'avenir ni d'émancipation. Chacun sait que la fracture scolaire est avant tout une fracture sociale : les 2/3 des enfants d'ouvriers sont en retard au collège contre à peine plus de 10% des enfants de cadres supérieurs ! L'école, la méritocratie, l'ascension sociale n'ont pas résisté à la ségrégation sociale qui alimente le désespoir de la jeunesse, les frustrations et la détestation d'élites qui se reproduisent sans partage.

Vous vous en prenez à l'entourage de François Hollande,  une "caste" supposée pouvoir servir des intérêts de gauche ou de droite.

Devinez qui a dénoncé en 2005 l'émergence de cette caste, cette alliance entre dirigeants d'entreprise, financiers et certains hauts fonctionnaires ? Lionel Jospin dans son avant-dernier livre (Le Monde comme je le vois).

Il est impossible de mener une politique qui serait celle du discours du Bourget  [ "mon véritable adversaire, c'est la finance", avait proclamé François Hollande en janvier 2012] alors qu'à l'Elysée, le secrétaire général Jean-Pierre Jouyet est un ancien ministre sarkozyste.

Voyez aussi le principal conseiller économique de François Hollande, Emmanuel Macron. C'est un ex-banquier de chez Rotschild, choisi non en dépit, mais en raison de sa connivence avec le milieu des affaires. Le PDG de France Telecom. Stéphane Richard assure qu'"Emmanuel Macron est notre porte d'entrée, notre relais auprès du président". Comment s'étonner alors du recul sur la taxe à 75% et du renoncement sur la séparation entre banque de dépôts et banques d'affaires ?

Cette caste passe son temps à dire aux Français qu'ils doivent se serrer la ceinture alors que ce sont eux les plus protégés. Nous avons renoncé à combattre une oligarchie qui veut casser le modèle social,  qui n'a aucune légitimité puisqu'elle n'est pas élue. J'ajoute aussi qu'il y a un amateurisme profond de ces équipes, il suffit de voir le lapsus de lundi soir, où François Hollande a parlé de la progression des partis européens au lieu des partis anti-européens.

Vous attaquez durement la ligne Valls dans votre livre. Pourquoi ?

C'est la ligne de l'ancien premier ministre britannique Tony Blair, adopter les thèmes de l'adversaire, un discours d'ordre sécuritaire et de libéralisme économique. Elle permet au premier ministre de  monter dans les sondages grâce à l'électorat de droite qui ne vote pas pour nous, mais nous perdons les élections. Cette ligne sociale-libérale est dangereuse pour la gauche.

Et vous restez quand même au Parti socialiste ?

Le parti doit être le lieu du débat, pas un un cimetière des illusions perdues. Il ne doit pas être caporalisé, à fortiori avec une politique qui fait 14% des voix, 6% des inscrits,  qui est minoritaire et n'est pas celle annoncée aux Français avant l'élection.

Il faut soutenir François Hollande, mais pas par des éléments de langage mal faits et une novlangue que plus personne ne comprend. Il faut surtout mettre un coup d'arrêt à l'austérité, ne plus être dans la logique des coupes budgétaires absurdes et renoncer aux 30 milliards de cadeaux destinés à un patronat qui n'en a pas besoin.

-> Marine Le Pen Essai sur le délitement républicain, Mehdi Ouraoui (Michalon, à paraître le 12 juin)