Gleeden, c'est "extra" (conjugal) !

La page d'accueil du site internet de rencontres extraconjugales Gleeden, le 27 janvier 2010. (LOIC VENANCE / AFP)

Gleeden encourage les femmes à croquer la pomme sur les affiches, mais sur le site de rencontres, il maquille l'affaire en employant le terme "extraconjugal", mais ça ne trompe personne.

 "Adultère" est accusateur : il porte l'attention sur la faute, le mensonge et fait planer le spectre du divorce. "Extraconjugal" est déculpabilisant.

"Extra" comme "en dehors de". Une rencontre Gleeden se passe en dehors de la sphère conjugale, à côté, sans déranger. D'ailleurs, la discrétion des membres de Gleeden est assurée. Le site ne vise pas à détruire les couples. Au contraire, il affirme les entretenir en proposant des évasions salutaires. Les "aventures d'un soir" sont des parenthèses enchantées qui permettent de mieux supporter la monotonie des soirées en couple. Elles ont lieu hors du nid : hôtels, cafés, cinés. Des endroits exotiques comparés au mortel lit conjugal où il faut accomplir ses devoirs. Les témoignages des clients sur le site de Gleeden parlent tous de la vie quotidienne si ennuyeuse de leur couple.

"Extra" comme "rab", "supplément", "cerise sur le gâteau". Une rencontre Gleeden est sans conséquence. "On se fait un "petit extra" ?" C'est une parenthèse qui n'empêche pas de conserver son mari, ses enfants, sa maison. C'est la liberté avec la sécurité. Extra, passade, aventure, écart, autant d'euphémismes qui permettent aux membres de croquer la pomme sans se sentir voués au péché éternel.

"Extra" comme "de passage", rapide, éphémère. Le contrat est bien compris : la rencontre est furtive, non engageante. C'est l'amour liquide : on se voit, on se parle, on fait l'amour, et on se revoit…ou pas. Une publicité pour BlackBerry disait : "Aimez avoir le choix". Notre époque est à cela, à assimiler sa liberté au fait de ne pas s'engager. Grâce à Gleeden, même marié, vous avez encore le choix des corps.

"Extra" comme "extraordinaire". Les mariages, c'était "pour le meilleur et pour le pire", maintenant c'est "pour partager de bons moments". On retrouve cette expression dans la plupart des annonces déposées par les membres des sites de rencontre. Les mauvais moments, on préfère les éviter. Vivre l'expérience du mariage sous serment sans engagement. Dire à l'autre "oui", mais en fait "non". Avoir un mari et un sex buddy. …

"Extraconjugal" comme "extraverti". En vivant une aventure, on progresse, on relève des défis, on sort de sa zone de confort. Gleeden aide à franchir le pas. Aller vers d'autres, c'est se connaitre soi-même, c'est s'épanouir, mieux connaître son corps. Du sexe, mais aussi des échanges avec un confident de passage sur les lourdeurs du quotidien routinier. C'est exprimer son potentiel…. Bref, tout ça va avec la lutte individuelle pour l'épanouissement personnel.

Tout ça, c'est surtout du bigot nouvelle époque. Comme ces chapelets d'extraits de l'alchimiste qu'on voit sur Facebook qui incitent  à "sortir des sentiers battus". Aujourd'hui, la convention est à l'anticonformisme marketé. "I don't want to go to school, I just want to break the rules" chante Charli XCX, une jeune star de la pop anglaise. Montrer qu'on a du vécu à travers le cul, c'est cool. Le pire pour une jeune fille au lycée n'est pas de passer pour une salope, mais pour une frigide. Pour être femme, faut afficher sa libido. Le site de rencontres Adopteunmec.com l'a bien compris et cartonne. Dans le même genre, se dire infidèle fait rebelle. Pour être bien vu, faut être volage, torride, décomplexé. Rien de plus chiant qu'un couple gnangnan.

La terrible routine du couple a bon dos car toute l'excitation d'une rencontre Gleeden repose sur les poncifs du couple classique. La tromperie, le secret, l'interdit font partie du plaisir. Gleeden se définit comme un site de rencontres extraconjugales, mais sa communication repose sur la faute, la transgression. Tout est en négatif de la religion : le nom du site comporte un paradis terrestre biblique, le logo est une pomme. "Etre fidèle à deux hommes, c'est être deux fois plus fidèle." dit un des slogans des affiches retirées. Il faut céder à la tentation.

Mais "Ciel mon mari !", c'est fini depuis longtemps. Ca ne choque plus qu'à Versailles. Gleeden peut les remercier. Sans réaction à leur provocation, Gleeden serait resté ce qu'il est : un simple site de consommation.