C'est l'expression de la semaine, celle qui résume un phénomène : les migrations de personnes qui cherchent à bénéficier de prestations sociales plus généreuses que dans leur pays. Mardi dernier, un arrêt de la Cour de Justice de l'Union Européenne a rappelé qu'on ne peut circuler dans un autre pays de l'UE juste pour bénéficier de l'aide sociale. Ca a été largement commenté. Pour évoquer le sujet en France et en Grande-Bretagne (Welfare ou benefits tourism), les hommes politiques et les médias ont recours massivement à l'expression "tourisme social". Concise, percutante, elle est idéale pour faire le buzz,
Migrer pour bénéficier des prestations sociales d'n pays plus généreux que le sien, c'est un vrai problème disent les uns. C'est un phénomène marginal disent les autres.... On peut débattre sur ce sujet… ce n'est pas mon sujet. Si vous voulez approfondir, les articles des Décodeurs du Monde et de l'Expansion sont excellents. Moi, je n'ai pas à prendre partie. Mais, l'expression "tourisme social" prend déjà partie. Et là-dessus, j'ai mon mot à dire.
La formule provoque un malaise. Assimiler des personnes en difficulté à des touristes en villégiature, c'est cynique. Ça nie la souffrance à l'origine de ses migrations. Prenons un exemple de "touristes sociaux". En juin dernier, un article du Parisien a révélé un trafic de prestations sociales : des Georgiens atteints de tuberculose ultra-résistante ne déclaraient leur maladie qu'au moment de l'expiration de leur permis de séjour afin de bénéficier de l'Aide médicale d'Etat (AME). Ca a pesé sur la sécurité sociale de la France. Mais, ces Georgiens ne étaient-ils pas eux-mêmes victimes d'un trafic d'une filière mafieuse qui exploite leur désespoir ?
Un touriste vient flâner et se dépayser. Mot dérivé du mot "tour" au sens de voyage, le tourisme est une activité de plaisir. On vient visiter différents lieux intéressant pour satisfaire sa curiosité. Ici, les Georgiens viennent visiter des hôpitaux pendant six mois pour survivre l Leur maladie est lourde, longue à traiter. Une vraie partie de plaisir !.
L'expression "tourisme social" est d'autant plus néfaste qu'elle a une façade respectable. Elle fait penser à ces formules administrative neutres telles "en situation de précarité" pour parler des pauvres, ou "atteints de maladie grave" pour parler des malades. Ces expressions "politically correctes" ont au moins le mérite de ne pas vouloir heurter. L'expression "tourisme sociale", au contraire, cache son intention de vouloir heurter. Ce n'est pas pareil. Au moins, quand on entendait les mots "profiteurs", "voleurs de poule, "va-nu-pieds", "gueux", au moins, on savait à qui on avait affaire.
D'ailleurs à l'origine, "tourisme social" était une expression respectable. Elle désignait les formes de tourisme solidaire. Des vacances pour tous. C'est le sens que lui donnait le gouvernement français. Du tourisme durable. Elle a été détournée. Pour mieux comprendre, prenons une autre expression à qui Il est arrivé exactement le même sort : cas social. A l'origine, les cas sociaux désignaient les personnes se trouvant dans des situations si précaires qu'ils avaient besoin d'une prise en charge médicale ou sociale adaptées de la part de l'Etat Providence. Par discrimination, c'est devenu un terme méprisant. On traite aujourd’hui de "cas social" tous les paumés, les marginaux qu’on soupçonne de ne pas se vouloir s’adapter pour "profiter du système".
Enfin, l'expression est douteuse parce qu'elle donne l'impression, avant même de l'avoir objectivement évalué, que c'est un phénomène de masse. Au secours ! Des hordes de voyageurs envahissent nos hôpitaux, profitent du RSA, détournent nos allocs. Ca participe à un fantasme. Ca suscite la rage décomplexée des Europhobes qui estiment que la France et l'Union européenne accueillent toute la misère du monde aux frais du contribuable. "Elle est pas belle la vie. Merci la France." "Tous ces Roumains qui viennent profiter du système". On lit ça dans les commentaires anonymes des articles, sur Tweeter ou sur les forums. On entend ça dans la bouche des hommes politiques décomplexés, qui ont déjà tranché avant même d'avoir examiné le problème. Tout ça ne contribue pas à l'union des Européens.
Bref, une expression douteuse à bannir. Et, comme le dit un twittos : "soit ses créateurs n'ont jamais fait de tourisme, soit ils n'ont jamais fait de social." Norden Gail (@nordengail)