7h35, siège 35, voiture 17 à bord du TGV Paris-Saint-Malo. Il est tôt et j'ai les crocs. Direction la voiture bar et ses "mets et boissons variées à déguster dans un espace convivial". Je commande un café et, dans l'élan, un paquet de chips.
A la base, ce ne sont que quelques bouts de pomme de terre coupés en lamelles et jetés dans l'huile auxquels on rajoute du sel. Mais le paquet m'en dit beaucoup plus. Sa robe rouge vif, son allure anglo-saxonne m'attirent. Je me sens au rayon épicerie fine de Marks & spencer
Comment faire rêver avec un produit aussi banal ? Comment donner une touche naturelle et traditionnelle à un produit aussi artificiel et industriel ? C'est tout le génie du marketing de la chips.
Le paquet de chips en question :
SEA SALT
Le premier coup de génie se détache en lettres blanches sur fond rouge: "sea salted" qui signifie "sel de mer". Je ne suis pas expert en sel mais il me semble bien que le sel vient de la mer. Certes on dit parfois le "sel de la terre", mais dans la Bible. Le sel vient aussi des mines mais ne se mange pas. On l'utilise notamment en cosmétique comme exfolient ou anti-transpirant. Sinon, qu'il soit récolté par un paludier des marais salants de Guérande ou extrait par un ouvrier des salines, le sel alimentaire vient de la mer. Or, rien ne permet de savoir si le sel de ce paquet est obtenu par évaporation naturelle qui conservent les bons oligo- et nutri-ments, ou par procédé industriel.
Qu'importe. La mention du sel marin permet d'accoler l'image d'un vieux loup de mer qu'on imagine prêt à partir au large pêcher à bord de son chalutier faisant fi des tempêtes.
REAL HANCOOKED POTATO CRISPS
Emballage emballant
Le rouge métallique de l'emballage et l'emploi de la langue anglaise contribuent au glamour du paquet. Mais ce ne serait rien sans les mots affichés et, comme disent les marketeurs, la "promesse" de la marque.
Avec ses lettres noires, sa police de caractère élégante en majuscules, et la marque REAL encadrée avec un petit côté "brossé" vintage, la couverture du paquet fait penser à la Une d'un magazine culturel, tel Transfuge ou Tecknikart.
Des chips à la mode…
Pardon des "crips". "Crisps" signifie chips en anglais. Le mot croustille à la prononciation. Les Britanniques en sont si friands qu'ils aiment se rappeler leur bruit quand ils les mastiquent. Les Québécois aussi, mais comme ils traduisent tous les mots anglais à leur façon pour se défendre de l'impérialisme anglo-saxon, ils disent "croustille".
…mais traditionnelles aussi
Pour véhiculer une sensation d'authenticité, on appelle sa marque "Real". La démarche parait absurde. C'est un truisme : elles ont authentiques car réelles. Puisqu'on vous le dit ! Il y a un potentiel créatif surréaliste dans cette démarche tautologique. On aurait envie de mettre : "Ceci n'est pas une chips".
Pour donner l'impression que les chips sont traditionnelles, on dit handcooking. Littéralement cela signifie "cuit à la main", idiomatiquement cela signifie que tous les ingrédients basiques sont authentiques. Rien à voir avec le home made (fait maison) donc. La mention "handcooked vous garantit seulement que c'est de la vraie pomme de terre, de la vraie huile, du vrai sel et non des substituts.
Une bien belle garantie pour des chips distribués aux quatre coins du monde à l'heure des OGM, des vaches folles ou des lasagnes de cheval, ses chips au moins sont saines. Cela me fait penser à la chaîne de sandwich Subway et son fameux concept : "Préparés sous vos yeux." Ils ne peuvent promettre plus, mais leur promesse est alléchante.
Leur publicité ne ment pas. Ça croustille quand je mâche, c'est salé à souhait, et je sens bien l'huile de tournesol qui glisse le long de mon palet quand je déglutis.
Voilà comment avec six mots "Real handcooking sea salt potato crisps" et 2€40, vous partez en mer avec des pommes de terre.
=> La semaine prochaine, je vous propose l'exégèse du recto de ce paquet. Une enquête passionnante dans les backstages des usines de chips irlandaises.