Les matchs se gagnent sur le terrain, mais aussi devant les micros. Au cours de ce mondial, les éléments de langage distillés pour les leaders et le sélectionneur ont redonné leur rang à l'équipe de France. Des qualifications au quart de finale du Mondial, le travail de communication de l'EDF était aux petits oignons.
Priorité au collectif.
La première mission de Deschamps : créer un sentiment d'unité . Pour ça, ces joueurs doivent minimiser leurs exploits personnels au profit du collectif. Exemple lors du match de qualif' contre la Norvège. Après un contrôle magistral, Giroud plante un missile pleine lucarne qui troue le gardien nordique. Ca aurait pu lui donner le melon, mais non. L'attaquant déclare simplement: "Oui c'est bien, mais j'ai envie de mettre en avant la prestation collective." (L'Equipe).
Dès lors, ça a été récurrent. Après la raclée collée aux Suisses, le milieu de terrain Sissoko déclare: "Je suis très content de la prestation de l’équipe, de ma prestation et de mon but. (…) C’est fantastique pour moi. Mais le plus important, c’était de faire un gros match contre une bonne équipe." Beau joueur. Benzema chante le même refrain : "On était tous à 100%, on a joué en équipe. On est une équipe, il n’y a pas d'état d'âme."
Un bon état d'esprit
Pour "dégager de la sérénité", il faut aussi montrer que le groupe est soudé. Elle est loin l'Afrique du sud et ses mines frondeuses, maintenant on s'amuse. Finis les sales caractères qui plomberaient les vestiaires car non titulaires. Tout est au beau fixe.
Là aussi, le message est passé. Après la victoire des Bleus contre la Suisse Didier Deschamps assure que "(les joueurs) se parlent, se chambrent, c'est très agréable de travailler dans ces conditions. (…) Ils vivent bien ensemble." Conscient qu'un message aussi positif peut passer pour de la langue de bois, DD rajoute aussitôt : " C'est un cliché mais c'est le cas." (Le Monde). Matuidi l'a dit aussi : "On s’entend vraiment bien. Ça se ressent sur le terrain." Le meilleur joueur pour le dire a été Valbuena. Après la victoire en 8eme de finale face au Nigeria, Valbuena a déclenché un superbe sourire aux caméras et sorti sa bêle punchline : "On est 23 frères."
Prendre du plaisir
Si les joueurs prennent du plaisir dans les vestiaires ou à l'hôtel, ils doivent surtout en prendre sur le terrain. Le plaisir est déterminant dans le sport. Il faut souffrir, courir, s'exposer, tout en "prenant du plaisir". Un joueur doit positiver, montrer à ses fans et son staff qu'il a aimé ce qu'il a enduré. C'est un signe d'intégration, mais aussi d'implication.
Or, dans ce mondial, à écouter les joueurs, c'est un pied intégral. "C’est vraiment un plaisir de jouer ce genre de match." dit Debuchy après la Suisse. "J’en profite et j’espère que ça va continuer" déclare Karim Benzema. "C’est très positif, tout le monde a pris du plaisir" dit Valbuena. Les variantes existent : savourer, profiter, kiffer. "On va savourer et se re-concentrer pour l’Equateur" dit Moussa Sissoko. Leur plaisir semble si partagé qu'on y croit et on en prend aussi à les voir
Prendre les matchs les uns après les autres.
Les succès venant, les journalistes anticipent, se prennent à rêver. Benzema, jusqu'au match face aux Allemands devient le génie de l'attaque du mondial. Griezmann, le nouveau Zidane. La France décolle. Toutes les conditions de 1998 sont réunies ! Les commentateurs brésiliens nous louent... L'équipe est en finale !
Hop, hop hop ! On ne s'enflamme pas. Gardons la tarte froide. Respectons le prochain adversaire. Il n'y a pas de petites équipes disent systématiquement les joueurs. Il faut avant tout "prendre les matches les uns après les autres."
C'est le tic de Deschamps dans les Guignols. Mais ils le disent tous. "On prend les matches les uns après les autres" déclare Valbuena après la Suisse. "Il faut rester concentré et ne pas s’enflammer" tempère Blaise Matuidi. C'est bien vu. Il n'est jamais bon pour une équipe "d'afficher ses ambitions". Cela met la pression inutilement. Le statut d'outsider est préférable. Les joueurs se lâchent, jouent plus zen. Cela a été bien martelé.
Tous ces éléments de langage sont bien rodés. Ils sont devenus des automatismes que DD n'a même plus besoin de lessuperviser. Désormais, ce n'est plus devant les micros qu'on entendra la vraie voix des joueurs.
Sur les réseaux sociaux alors ? Oui. Si on en croit les selfies et photos souvenirs de camaraderies passées à jouer aux cartes et à se chambrer, les Bleus sont des "amis pour la vie". Pogba a adressé un poème à Griezmann en hommage à ce qu'il est devenu au sein de l'équipe. "En octobre, personne te connaissait", "en janvier, on a commencé à te kiffer", "en juin tu nous a fait rêver"... Ils seraient même devenus des gendres idéaux.
C'est aussi une mise en scène. Il y a longtemps que les backstages sont filmés et que les mots "off" ne sont plus off. Toute parole de joueur doit servir cette impression d'unisson. Tout joueur doit soigner ses discours officiels et ses conversations "confidentielles".
Mais qu'importe, c'est notre époque. Quoique nous fassions, nous aurons toujours cette sensation de mise en scène, de "naturel travaillé". Pour prendre une photo d'une partie de cartes, il faut bien s'arrêter de jouer et poser. Nous mêmes mettons en scène nos vies professionnelles et personnelles, sur Linked'in ou sur Facebook. Alors, après, c'est une question de foi.
Eh bien, au sein de ce dispositif de com', on sentait battre le petit cœur de chaque joueur. Comme les joueurs brésiliens, à la limite du mystique, pleuraient avant toute épreuve (début de matche, fin de match, séance de tirs au but.), le foot est un combat émotionnel. Pour passer, les éléments de langage doivent comporter un minimum de sincérité, une émotion. Et là, l'Equipe de France nous a donné un vrai pic émotionnel comme disent les commentateurs. Le défenseur Mamadou Sakho a bien résume bien la situation après la défaite face à l'Allemagne. "L'âme est là, quelque chose s'est créé."
On y croit. La preuve.