A bas le bonheur. Vive la félicité !

Vidéo Signor Rossi Vs. De-Phazz - Viva La Felicita

"Le bonheur est un choix, en voici la preuve scientifique." titre le Huffington Post. "Testez votre bonheur" propose une émission d'M6. Partout, des livres, des messages sur FB, des articles nous incitent à être heureux, nous disent que ça dépend de nous, et me font culpabiliser dès que j'ai un coup de mou.

Je veux bien être heureux, mais quand je pense au bonheur, mon cerveau convoque des clichés publicitaires. "Ne passez à côté des choses simples" (Herta).  "On n'est pas bien (…) à la fraîche ?" dit Gérard Depardieu à Patrick Dewaere dans les Valseuses. "Elle est pas belle la vie ?" nous dit la petite fille en croquant sa Knacki.

Le bonheur par des gestes simples. Nutella offre "du bonheur à tartiner." Ouvrir un Coca-Cola, "ouvre du bonheur." Avec MMA, c'est le "bonheur assuré", et aller au Le Club Med, c'est s'offrir "tous les bonheurs du monde."  Avec les barres chocolatées Mars, c'est "Que du bonheur." Le bonheur viendrait donc de Mars…

Rodrigo Beenkens un journaliste sportif belge d'expression francophone (un peu notre feu Thierry Rolland, l'humour en plus) aurait fait la blague :

- Et toi? Y a de la félicité dans tes yeux?»

- Quoi? De la publicité dans mes yeux?"

Il a tout compris.

Ces sentiments contrastent avec ce que j'ai ressenti ou cours de  mon trip belge éclair, une série d'interview effectuée à Bruxelles la semaine dernière pour mon dictionnaire. J'ai senti là-bas l'humour, la gaité, la félicité de nos voisins. Je ne dis pas que les Belges sont plus heureux que nous, mais ils emploient un autre mot que nous pour décrire leur joie : félicité.

Du latin felicitas, la félicité désigne un grand bonheur, un état de béatitude. En France, le mot sonne médiéval et s'emploie dans  des registre littéraires précieux, ou religieux. Les Belges, eux, l'emploient tout le temps. En ce sens, ils sont européens. Les Italiens disent "félicità", les Espagnols "felicidad", les Portugais "felicidade" pour dire bonheur. "Viva la felicità" chante Signor Rossi.  "Estoy feliz) " dit un Espagnol quand il se sent heureux.

Vidéo Signor Rossi Vs. De-Phazz - Viva La Felicita

Vidéo Signor Rossi Vs. De-Phazz - Viva La Felicita

La félicité belge, c'est la classe au dessus. C'est du bonheur extrême, de la jouissance parfaite, du rire en barres. Le Littré définit la félicité comme "l'état où l'on jouit de ce qui contente." Ca donne l'image d'un type repu après un bon repas et une bonne bière. Or, la première gorgée n'est-elle pas censée être le bonheur ultime ? Merde, on revient au cliché du geste simple.

Quand je suis arrivé Gare du Midi à Bruxelles, l'ambiance n'était pas à la félicité. Pas une voiture dans les rues de Bruxelles. Silence de mort. Waterloo morne plaine. L'Algérie menait 1-0 face à l'équipe nationale belge.

Brigitte, l'attachée de presse, me dépose gentiment à l'hôtel offert par RTL Belgique. Je me pointe à l'accueil, prend ma clé, m'installe dans ma chambre, et là, je découvre une suite digne d'un People : deux queen size beds, une salle de bain de nabab et un écran plat géantissime. J'allume la télé et découvre le score : 2-1 pour les Belges !!! Pas de Belges autour de moi, mais je peux vous assurer que la félicité débordait sur le plateau télé, dans le public, et dans la gorge des commentateurs. Tout le monde rigolait, hurlait sa joie sans affect. Ils se sont repassés les moments forts à la fin du match. C'était jovial.

Ensuite, je commande un plateau repas par le room service et j'enchaine sur le match du Brésil sur lequel je m'endors. Réveil, 7 heures. Taxi, 8 heures. RTL, 9 heures pour deux heures de direct dans l'émission "Beau fixe". L'émission du jour est animée sous forme d'un jeu qui part des mots de mon dictionnaire pour poser des questions aux candidats. Sympa !

L'émission vise à mettre de bonne humeur. Et je peux vous dire que l'animateur, Julien Sturbois, sait communiquer la sienne. Pas que lui d'ailleurs, les filles qui font les flashs-info  font des blagues. La miss météo est bon public. Mais le Cyrano de Bergerac de cette émission, c'est le type en régie : un passionné des mots, qui me relance entre deux passages sur mon dico, rigole, fait des blagues, lance des sujets de débats, détend l'atmosphère. L'animateur reprend ce qu'on se dit en off à l'antenne. Pas de discontinuité. Ca faisait comme au café. Résultat, impressionné au début, je me suis  relâché et en avais presque oublié qu' 1,4 million de Belges nous écoutaient.

Les Belges disent toujours : "C'est gai". Si vous allez en Belgique, vous l'entendrez sûrement. Cela signifie agréable, plaisant. "C'est gai d'être ensemble", par exemple, signifie : Qu'est ce que c'est sympa d'être ensemble. Et bien c'était gai en studio.

Cela me semble culturel. J'ai l'impression qu'en Belgique, pour parler des choses sérieuses, il faut d'abord faire une blague. Chez les Anglais, on fait du small talk (bavarder cinq minutes de tout et de rien) avant de discuter business. Chez les Bruxellois, l'humour est un préalable au discours. Dans les studios parisiens, on tourne en dérision les sujets sérieux. A Bruxelles, on parle de trucs sérieux sans se prendre au sérieux.  C'est une culture, un état d'esprit.

Je généralise, c'est vrai, mais les Belges ont un sens de l'humour que j'admire, un rire sensible et chaleureux à l'image de Benoit Pœlvoorde, à la limite de la dépression. On sent qu'on peut passer du rire aux larmes. Surtout si les Diables rouges perdent…. C'est d'ailleurs ce qui rend leur rire si fort : il est borderline.

Enfin, peut-être pas… c'est complexe le rire. Mais c'était gai de se prêter au jeu.