Cela ne fait pas la « une » de l’actualité. Pourtant le malaise est grand. Ce n’est pas nouveau. La justice ne va pas bien mais cette fois ce sont les magistrats et l’ensemble des professionnels de l’institution qui sont à la fois remontés et abattus.
Certes, ils ne manifestent pas dans la rue en robe noire ou rouge, comme ils l’ont fait. Certes ils ne multiplient pas les actions spectaculaires à l’intérieur de leurs juridictions. Fidèles à leur attachement au service public, ils assurent toujours leur fonction mais le cœur est de moins en moins là.
Ce début d’année est l’époque des traditionnelles audiences solennelles. Devant leurs collègues, devant un parterre de personnalités, les deux chefs de juridiction se livrent à un état des lieux de l’institution.
Vendredi dernier, c’était le tour de la cour de cassation. Plus haute juridiction française. Exceptionnellement, ni le Chef de l’Etat, ni le Premier Ministre n’avait fait le déplacement. Seul le nouveau Garde des Sceaux, Michel Mercier, était présent mais il n’a pas prononcé de discours. Résultat, aucune annonce du style de la disparition du juge d’instruction ou de l’étendue des jurés populaires dans toutes les juridictions de jugement.
Vendredi, si Vincent Lamanda, le premier président s’est contenté d’évoquer d’une façon très soft l’arrivée d’un nouveau CSM, le procureur général Jean Louis Nadal a dit tout haut ce que d’autres pensent tout bas. Sans le nommer, il s’en est pris aux déclarations de Brice Hortefeux après le jugement de Bobigny. Sans le nommer encore, il visait l’actuel Chef de l’Etat quand il met en cause les politiques qui fustigent les magistrats au lieu de les défendre.
Jean Louis Nadal a aussi regretté que toutes ses prises de position sur l’exigence d’une réforme du statut du parquet soit restées lettre morte. Un discours rare dans la bouche d’un haut magistrat même s’il est bon de préciser ici que M. Nadal n’a rien à perdre. Il part à la retraite dans 6 mois.
Les deux chefs de juridiction de la cour d’appel de Paris ont aussi milités pour une réforme du statut du parquet. La semaine dernière, c’est la Conférence des procureurs qui a été reçu par le ministre de la justice pour défendre la même cause.
Mais les esprits ne sont pas plus calmes en province. Ainsi, Philippe Varin, procureur de la république de Tours, s’est montré inquiet pour l’année à venir. Garde à vue, suppression du juge d’instruction, indépendance du parquet, tous ses « séismes » de 2010, selon le magistrat, auront des secousses en 2011. Son homologue de Draguignan, Danielle Drouy-Ayral a évoqué les « doutes et les inquiétudes » des magistrats.
Dans le « Monde » daté de mardi, Robert Badinter se dit pessimiste. « Jamais il n’y a eu un malaise, une amertume aussi profonds chez les magistrats (…) La justice n’a aucune reconnaissance nationale. Ni dans les sondages ni du coté de la presse et encore moins du coté des autorités officielles ». L’ancien ministre de la justice qualifie en outre, les différentes propositions de l’actuelle majorité de « forme de populisme judiciaire ».
A son arrivée à la Chancellerie, Michel Mercier avait déclaré être à l’écoute des magistrats. Unanimement, ils réclament que le principe des nominations des procureurs soit révisé. Unanimement, ils jugent que l’introduction des jurés populaires en correctionnel n’est pas une priorité. Pourtant, c’est ce denier chantier qui à la faveur de l’actuel Garde des Sceaux.