L'amertume d'un prix Nobel à la barre

 
Dix ans les séparent mais ils ont tous les deux la même vivacité d’esprit. Debout cote à cote, à la barre, face au président Didier Wacogne, ce sont d’abord deux scientifiques, deux professeurs qui s’expliquent.
 
L’un est simple témoin, le Professeur Luc Montagnier. Le prix Nobel de Médecine ne veut pas faire son âge et cache ses cheveux blancs par une teinture par trop voyante. L’autre est prévenu, le Professeur Fernand Dray, ex responsable du Laboratoire de l’institut Pasteur. A 88 ans, il se bat jusqu’à son dernier souffle pour sauver son honneur. Il est aujourd’hui l’un des derniers survivants parmi les prévenus à répondre de ce drame sanitaire. Le vieil homme est dur d’oreille mais il a la voix qui porte quand il interrompt l’avocat général d’un « on ne peut pas laisser dire des inepties comme celles-ci ».
 
Le professeur Montagnier avait déjà témoigné en février 2008 lors du premier procès. Aujourd’hui encore, l’un de ceux qui a découvert le virus du Sida choisit ses mots.
Est-ce de la prudence liée à la formation scientifique ? Est-ce la volonté de ne pas accabler un collègue de 10 ans on aîné?
 
En 1979, Fernand Dray demande conseil à Luc Montagnier. En début d’année 80, ce dernier rédige une note. Pour le juge d’instruction et pour le parquet, cette note de Montagnier constitue un élément à charge.
 
 Le futur prix Nobel y souligne les limites de la technique de purification de l’hormone de croissance. En revanche, il est plus déterminé sur les précautions à prendre quant à la collecte des hypophyses. Il préconise l’élimination de « tous sujets morts d’une affection virale, d’une encéphalopathie d’origine virale ou non ou ayant présenté des troubles neuropsychiatriques graves ».
 
Trente ans plus tard, le Professeur Montagnier tente de replacer son intervention dans le temps. « C’était un conseil d’expert en virologie, une note d’alerte ». Pour lui, en 80, le risque n’était que « théorique ». Aussi le témoin se déclare « effaré par le nombre d’enfants contaminés ». « La médecine est là pour guérir, pas pour faire mourir » ajoute le Professeur Montagnier. « On a sous estimé la maladie de Creutzfeldt-Jacob. Elle est encore aujourd’hui mystérieuse ».
 
Reste ses préconisations sur la collecte. « J’ai appris par la suite qu’on avait collecté sur des cadavres, sans restriction. C’est là le gros problème. C’est une obligation scientifique de savoir d’où venaient ces hypophyses, d’avoir leur traçabilité ».
 
Alors que la défense évoque l’existence de note ministérielle et de note interne à l’Institut Pasteur écrites après sa propre note, le témoin conclut : « Cela prouve que mes conseils ont été suivis. Sur le papier, tout allait bien ».
 
Pour le professeur Montagnier, le risque zéro n’existe pas. « Si on avait suivi mes préconisations, dit-il, on n’aurait au moins diminué le nombre de victimes ».
 
A la barre, le prix Nobel s’interroge. « Pourquoi la France a-t-elle le triste record dans les dossiers de l’hormone de croissance ou des hémophiles ? » Puis il accuse. « Le gouvernement n n’a pas tiré les enseignements de ces drames. On est toujours en retard d’une guerre ». Le Professeur quitte l’audience avec un regret. Celui des scientifiques qui ont le sentiment de ne pas être entendus par les gouvernements.
Publié par Dominique Verdeilhan / Catégories : Ma chronique