Les magistrats ne sont pas les seuls à s’inquiéter de la réforme de la procédure pénale qui est en chantier dans les bureaux de la chancellerie. Les avocats ont eux aussi décidés de faire entendre leur voix.
Samedi matin, sous l’impulsion de Maître Corinne Dreyfus-Schmidt, l'énergique nouvelle présidente de l’association des avocats pénalistes, plusieurs d’entre eux étaient réunis à la Maison du Barreau à Paris. Quelques magistrats étaient venus les rejoindre pour ce débat de grande qualité.
Alors qu’il s’apprête à fêter dans quelques jours ses 55 ans de barreau, Maître Henri Leclerc avait le lourd privilège d’ouvrir le débat. Son rappel des précédentes réformes ou projets de réformes mis en relief la façon dont les gouvernements successifs jouent au yo-yo avec l’institution judiciaire.
Durant plus de deux heures, les échanges furent vifs mais courtois entre les opposants et les défenseurs de la nouvelle réforme. La discussion s’est évidemment focalisée sur la suppression du juge d’instruction. Maître Eric Dupond-Moretti et M° Jean-Yves Le Borgne soutiennent cette suppression. Tandis que Marc Trevidic, actuellement juge d’instruction chargé des dossiers de terrorisme, et Maître Philippe Lemaire appellent à un abandon de ce projet.
Pour Eric Dupond-Moretti, l’affaire Outreau a montré les insuffisances du système actuel. Selon l’avocat, le juge est un personnage schizophrène à qui on demande d’instruire à charge et à décharge et de juger en quelque sorte son travail en renvoyant ou pas le mis en examen devant une juridiction de jugement.
A l’opposé, son collègue, M° Philippe Lemaire souligne le ridicule du projet de réforme. « On supprime le juge au prétexte qu’il ne peut pas instruire à charge et à décharge et que lit-on dans le texte en préparation que le procureur qui est le représentant de l’accusation par naissance qu’il va devoir enquêter à charge et à décharge ».
Si Marc Trévidic est forcé de reconnaitre que la suppression du juge d’instruction est une révolution, à laquelle encore une fois il ne souscrit pas, il déplore que dans le même temps « on veuille toujours couper des têtes ».
On l’a déjà dit, le juge d’instruction serait remplacé par le procureur à la tête de l’enquête mais un nouveau juge du siège ferait son apparition, le juge de l’enquête et des libertés, le JEL. Une sorte d’arbitre entre l’accusation et la défense. M. Trépidai ne semble pas y croire avec un argument de poids. « La chambre de l’instruction, le juge des de la liberté et de la détention, le JLD, ne marchent pas, dit-il, pourquoi le JEL marcherait ? ».
Tous étaient en revanche d’accord pour dire que le problème réside dans le statut du parquet. « Il est la voix du gouvernement » a rappelé avec force M° Lemaire rappelant l’art 30 du code de procédure pénale, provoquant les applaudissements d’une grande partie de la salle.
Présent dans la salle, M° Temime qui passe en ce moment avec dextérité des dossiers Polanski, Bettencourt à celui du docteur Delajoux, surenchérissait par ses mots, probablement inspirés par la procédure Julien Dray évoquée par d’autres participants « Quand tout dépend du parquet, cela se passe encore plus mal ».
Robert Badinter était invité à conclure. L’homme manie aussi bien le verbe que la procédure. Sa démonstration d’à peu près une heure était un régal d’intelligence, de pondération et d’humilité. Après avoir rappelé que contrairement aux commissions Delmas-Marty et Truche qui dans le passé se sont penchées sur des réformes de notre procédure, le rapport Léger a écarté la discussion sur le statut du parquet dont encore une fois tout le monde semble d’accord pour dire qu’il s’agit d’un corollaire à la suppression du juge d’instruction.
L’ancien Garde des Sceaux a terminé son intervention par un avertissement dans l’hypothèse où cette loi serait votée. « Nous ne sommes pas face à un texte jetable. Il sera difficile de revenir en arrière, même en cas d’alternance politique ».