Juge d'instruction ou procureur: tout est question d'indépendance

Sans surprise, le comité Léger a remis mardi sa copie au Chef de l'Etat. Sans surprise, il a exhausé les voeux présidentiels puisqu'il préconise la mort du juge d'instruction, mort annonçée à voix haute par Nicolas Sarkozy dès le 7 janvier dernier lors de l'audience solennelle de la cour de cassation. Il ne s'agit pas d'une unanimité dans ce comité pour cette suppression mais d'une large majorité.

16 "sages" constituaient ce comité. Ce dernier avait été installé à la Chancellerie le 14 octobre 2008, deux mois avant que le Chef de l'Etat ne dise ses souhaits. La composition d'un telle assemblée est toujours sujet à discussion. "Pourquoi lui et pas pas l'autre?" Notons simplement au passage que les magistrats présents étaient majoritairement des membres du parquet ( 4 contre 2). Rappelons que parmi les avocats, il y avait celui du commanditaire de ce rapport. Soulignons enfin que deux membres de la dite commission avaient démissionné au lendemain de l'intervention du Chef de l'Etat en janvier dernier: un journaliste et une juge d'instruction. Pendant plusieurs jours le cabinet de Rachida Dati avait cherché à remplacer les deux membres défaillants. Tous les journalistes contactés ont décliné l'invitation. Une juge d'instruction de Bordeaux a accepté de prendre le fauteuil de sa collègue de Paris.

Depuis que le débat est lancé sur la disparion du juge que l'on disait à une époque le "plus puissant de France", un mot revient dans toutes les bouches: indépendance.

Le juge d'instruction est un magistrat du siège. Le procureur est membre du parquet dont on sait qu'il est hiérarchiquement dépendant du pouvoir politique. Faut-il rappeler l'aveu de Rachida Dati peu après son arrivée place Vendôme. "Je suis le chef des procureurs". Les procureurs de la république sont nommés par la Chancellerie sur simple avis du CSM. Les procureurs généraux sont eux nommés en conseil des ministres, suite également à un avis simple du conseil supérieur de la magistrature. En un mot, le gouvernement a tout pouvoir de nominations de ceux qui ont l'opportunité des poursuites. Pouvoir d'investigation ou pouvoir d'étouffement? C'est tout l'enjeu de la décision de leur confier à eux seuls le travail d'enquêteur et d'instruction.

Un raccourci journaliste laisse à penser que les juges d'instruction sont eux totalement indépendants. La vérité est tout autre.

Certes rappelons que la carrière des magistrats du siège dépend du CSM qui rend cette fois ci un avis conforme qui lie le Garde des Sceaux. Une exception pour les chefs de juridiction qui sont nommés par le Président de la République, après simple consulation du CSM. Or la carrière de nos 600 actuels juges d'instruction dépend en première ligne de ces chefs de juridictions. Qui les notent. Qui les déplacent. Qui leur confie ou non telle ou telle affaire.

Aujourd'hui, un dossier arrive sur le bureau d'un juge d'instruction soit parce que celui ci était de permanence au moment des faits qui vont être poursuivis, soit - et c'est le cas le plus fréquent - parce qu'il aura été choisi par son supérieure hiérarchique. Autrement dit, tout est question de casting selon que l'on veuille que le dossier aboutisse ou pourrisse dans une armoire.

Indépendance du juge d'instruction qu'il faut encore relativiser par les questions de procédure. Un juge ne peut instruire que des faits pour lesquels il a été saisi par un réquisitoire introductif ou supplétif que lui délivre le procureur....

Aujourd'hui, une instruction peut aussi être déclenchée par la plainte d'une constitution de partie civile adressée au doyen des juges d'instruction. Le comité Léger souhaite que la disparition du juge d'instruction n'entraîne pas la perte de cette procédure offerte aux victimes.

Philippe Léger le rappelait mardi après midi à la sortie du l'Elysée. Les 16 sages n'ont pas choisi majoritairement de préconiser un changement de statut du parquet tant reclamé par ceux qui craignent cette révolution culturelle de la justice. Mais dans son intervention devant les membres de la commission venus lui remettre leur rapport, Nicolas Sarkozy s'est dit prêt à discuter de l'indépendance du parquet.

Rappelons en conclusion une phrase de M° Georges Kiejman alors qu'il était ministre délégué à la justice aux cotés d'Henri Nallet. "L'indépendance du magistrat, elle est d'abord dans sa tête".

Publié par Dominique Verdeilhan / Catégories : Ma chronique