Véronique Courjault ou la difficulté de dire l'inavouable

C'est presque à un dialogue de sourds que l'on assiste depuis 4 jours au procès de Véronique Courjault.

D'un coté, ce sont des mots parfois difficilement audible d'une femme seule dans le box. De l'autre, c'est un interrogatoire en rafale de la part du président de la cour d'assises. Visiblement le magistrat a choisi la manière forte de mener les débats. On aurait pu s'attendre, comme le font certains de ces collègues, à ce qu'il mette en confiance l'accusée pour qu'elle essaye de s'expliquer le mieux possible sur les faits qui lui sont reprochés. Véronique Courjault a grandi dans une famille où on ne parle pas, où l'on exprime, ni par les mots, ni par les gestes, les sentiments. Tous ses proches qui défilent à la barre le disent, c'est une femme réservée, timide, renfermée. Les experts parleront peut être d'une personnalité introvertie. Son mari, Jean Louis, a les mêmes difficultés à dire les choses. Résultat, de chaque coté de la barre, que ce soit dans le box ou sur le banc des parties civiles, c'est le spectacle d'une souffrance, presque une impossibilité à s'exprimer. Malgré la demande qui a été faite au débuts du procès, ce procès ne se déroule pas à huit clos. C'est donc devant un public nombreux, devant un parterre imposant de journalistes, et surtout devant leur famille que les deux protagonistes de l'affaire doivent tenter d'éclairer les jurés. Dire en une semaine un secret que l'accusé a gardé en elle durant 7 ans.

Georges Domergues, le président des assises, a délibérement choisi d'instruire ce procès à l'audience comme si il s'agissait d'une simple affaire criminelle. Les faits et la recherche du mobile. Un point, c'est tout. Une approche cartésienne qui colle mal avec l'approche que l'on peut avoir de ce dossier et avec l'attente légitime de la défense. Plusieurs fois, M° Henri Leclerc est intervenu au cours de ces premiers jours d'audience pour s'offusquer du caractère brutal et orienté de l'interrogatoire mené par le magistrat. Mais ce dernier ne se laisse pas démonter et cloture l'échange vif avec l'avocat d'un "Je mène l'interrogatoire comme je le veux".

Résultat: au lieu d'une parole d'accusée qui se libère, on assiste à un blocage. Véronique Courjault répond fréquemment " Je ne sais pas", "c'est plus compliqué que cela", "c'est trop simple comme explication". Rendant la compréhension de ces actes encore plus problématique.

En fin d'audience ce vendredi, épuisée, Véronique Courjault a, à son tour, émis des doutes sur la qualité du procès qui est le sien. "Je ressens les mêmes impressions que lors de l'instruction. Je me sens acculée. C'est pas l'instruction, c'est un jugement". dans les couloirs, sa famille et sa belle famille ne masquent pas leur inquiétude face à un procès qu'il ne juge pas "équitable".

Les premiers jours, c'est grace à des questions ouvertes de l'avocat général Philippe Varin que V Courjault a réussi à s'exprimer le plus longuement. Paradoxe, c'est celui qui représente l'accusation qui la met ele mieux en confiance. Ainsi elle avouera ainsi à son mari, qu'elle avait "failli lui dire, mais qu'elle n'avait pas pu". Reconnaissant aussi que ces " bébés n'avaient pas d'existence réelle pour elle".

On l'a compris dans ce procès, il n'y a pas la place pour le juste milieu. Soit l'on juge une femme perturbée, issue d'une famille marquée par le gout du silence, du non-dit et du secret de famille et ce procès ne doit être qu'une étape de la prise de conscience d'un trouble énorme à soigner. Soit l'on juge une meurtrière d'enfants. Soit la justice fait face à un déni de grossesse, un phénomène psychologique que la médecine elle même appréhende mal .Soit la justice est confrontée à une "sérial killer de nourrissons".

Depuis mardi, c'est un portrait à deux faces qui se dessine de véronique Courjault. D'un coté, celle dépeint par ses proches, une "excellente mère, une maman poule" qui aime ses deux premiers enfants. De l'autre une femme qui par la suite a gommé ses trois grossesses, avouant dans un des rares moments où elle a trouvé les mots suffisants: "J'ai fini par croire que je n'étais pas la mère de ces bébés".

Publié par Dominique Verdeilhan / Catégories : Ma chronique