Plaider face au vide

L'un ouvre le feu roulant des plaidoiries de la partie civile. L'autre le ferme. Tous les deux plaident physiquement face à la cour d'assises. Le premier s'appuie sur la barre des témoins. Le second a posé ses notes sur la vitrine des pièces à conviction. Une vitrine vide. Notons au passage que chaque jour, l'appariteur y installait les rares pièces physiques du dossier, parmi lesquelles l'arme du crime. Pendant les six semaines de procès, à aucun moment, le président n'a demandé que ces pièces soient présentées à la cour ou aux parties.

Face à la cour, nos deux avocats plaident. A leur droite , un grand vide. Pas de confrères sur le banc de la défense. Pas d'accusé dans le box. Le premier conseil, M° Benoit Chabert, représentant l'Etat, reconnait que la situation est "impressionnante", "perturbante". Plusieurs fois au cours de sa plaidoirie, il évoquera les "fantômes de la défense". Le second, M° Philippe Lemaire, conseil de Dominique Erignac et de ses enfants, avouera en fin de journée qu'il a "gommé cette absence, qu'il l'a chassé de son esprit".

Tous deux reviendront sur le départ il y a quinze jours d'Yvan Colonna. "Au lieu de nous affronter, il a décidé de s'enfuir, un triste aveu de culpabilité. Est-ce qu'un innocent quitte la barre?" dira M° Chabert. "Fuir est la plus mauvaise méthode pour convaincre" renchérira M° Lemaire.

Tous deux balayeront d'un revers de manche les incidents qui ont marqué ce procès en appel. Peu importe les témoignages de ceux qui tentent à la barre d'innocenter l'accusé. Pas plus crédibles les allégations de ceux qui sous entendent que le commando était composé d'autres membres. "Il faut avancer avec ce qu'on a" avoue M° Chabert. Pour son confrère M° Lemaire, ce ne sont que "des fausees pistes, des mensonges et des coups montés pour travestir la vérité". Tous deux s'appuyent sur les déclarations des membres du commando lors de leur garde à vue. En choeur, ils déclarent à la cour d'assises que pour eux, "il n'y aucun doute sur la culpabilité d'Yvan Colonna".

Demain, les deux avocats généraux vont leur emboiter le pas. On peut présager que leur démonstartion s'appuiera également sur le dossier, dans le but d'écarter au maximum les éléments que la défense a tenté de faire entrer dans le débat.

Etrange procès qui touche à sa fin. Des plaidoiries de parties civiles et un réquisitoire pour convaincre ses juges que son intime conviction est la bonne, constitue la vérité judiciaire. Plaider, requérir sans prendre le risque d'être contredit par ses adversaires puisqu'exceptionnellement la défense n'aura pas la parole en dernier.

Publié par Dominique Verdeilhan / Catégories : Ma chronique