On ne pourra pas accuser la défense d'avoir pris en traître ses contradicteurs et la cour d'assises. Elle l'avait annoncé bien avant l'ouverture de ce second procès. Elle a tenu sa promesse. Elle a demandé cet après-midi une reconstitution sur les lieux du crime. Lors du précédent procès, elle avait décroché un transport de justice. Cette fois-ci , les avocats d'Yvan Colonna souhaitent que soient présents sur les lieux tous les protagonistes du dossier. A savoir les témoins, les membres du commando et les experts.
Pour Maître Gilles Siméoni, il s'agit là "d'une mesure d'évidence, légitime, indispensable". Pour son confrère, M° Patrick Maisonneuve, "il faut faire maintenant ce qui aurait du être fait". "Nous sommes en phase de reconstruction, face à une carence" surenchérit M° Pascal Garbarini. Rappelons qu'il y a eu une première reconstitution à Ajaccio en mars 98, un mois après l'assassinat, avec les témoins occulaires. A l'époque, personne n'avait été arrêté. La plupart des témoins parlait de 2 hommes en embuscade dans la rue du "Kalliste". Une nouvelle reconstitution fut organisée en juin 99 après l'arrestation des membres du commando et après que l'un d'eux Pierre Alessandri implique en garde à vue et devant le juge Yvan Colonna. Le jour J de cette reconstitution, aucun des mis en examen n'accepta d'y participer. Yvan Colonna était lui en fuite. Après l'arrestation de ce dernier en juillet 2003, les avocats du berger de Cargèse l'ont demandé en octobre 2005. Sans l'obtenir. Une reconstitution à laquelle il n'aurait pas participé puisqu'il déclare depuis le début qu'il n'était pas là le soir des faits.
Cette reconstitution demandée aujourd'hui essuie la réprobation des parties civiles et de l'accusation. Pour les premiers, M° Lemaire et M° Chabert, c'est une demande dilatoire qui cherche à faire reculer l'examen du dossier sur le fond. Quant au parquet général qui s'exprime par la bouche de deux avocats généraux, on a droit à deux réponses qui n'éclaircissent pas le débat. Pour l'un, rien dans le procès de 2009 ne justifie cet acte judiciaire. Pour le second, il est préférable d'attendre la déposition des membres du commando avant de se prononcer.
Prenant la parole en dernier, Yvan Colonna demande cette reconstitution de tout son être. " Pourquoi voudrais-je gagner du temps?" rappelle celui qui est en prison depuis bientôt 6 ans. " Si Pierre Alessandri qui m'accuse ne veut pas la faire, il y a des figurants pour la faire. Je n'ai pas peur. Je n'ai peur de personne. J'attends les membres du commando et on va s'expliquer. Je suis blindé et j'attends tout le monde avec sérénité parce que je suis innocent et que je vais le prouver".
La cour d'assises spéciale rendra sa décision demain matin. Une réponse qui peut très bien ne pas en être une. Les magistrats peuvent effectivement considérer qu'il est préférable d'attendre la déposition des autres témoins, à commencer par les membres du commando et leurs épouses, avant de trancher cette question.
La décision est en tout cas cornélienne pour la cour. Si elle accepte ce voyage en Corse, on pourra considérer qu'il s'agit là d'une façon d'apaiser les tensions avec la défense. Si au contraire, elle refuse ce retour à Ajaccio, la défense se verra conforter dans son idée de se retrouver face à une cour qu'elle juge déjà publiquement comme "déloyale, en mission et à charge".
Jamais de mémoire de chroniqueur judiciaire, on aura assister à un procès avec une telle incertitude. Il ne s'agit pas dans le cas précis de s'interroger sur le verdict mais tout simplement de se demander si ce procès ira à son terme.