La scène est assez rare pour qu'elle passe inaperçue. Rachida Dati avait convié à déjeuner aujourd'hui 5 de ses prédecesseurs: Michel Vauzelle, Elisabeth Guigou, Michel Sapin, qui était secrétaire d'Etat, Jacques Toubon, Patrick Clément. Absents autour de la table: Albin Chalandon, Robert Badinter, Pierre Arpaillange, Henri Nallet, Pierre Méhaignerie, Marylise Lebranchu et Dominique Perben.
Au menu: la mort annoncée du juge d'instruction. Une disparition maintes fois évoquée dans les colloques, dans les couloirs de l'Assemblée Nationale, dans les bureaux du Ministère de la Justice. Mais jusqu'à présent aucun garde des Sceaux, aucune Chef de l'Etat n'avait fait ce pas. Soit parce qu'il y était opposé, ce qu'a rappelé Pascal Clément. Soit parce que la réforme de la procédure pénale de nombreuses fois retouchée depuis des décennies n'allait pas jusque là.
On l'a dit. La disparition de ce juge dans notre paysage judiciaire est une révolution. Aujourd'hui il est au centre de la procédure criminelle, même si l'on sait que les juges d'instruction ne gèrent que 5% des affaires pénales. Le juge d'instruction n'a pas tous les pouvoirs puisque par exemple, il ne met plus en détention. Mais il en a énormement. Et même si son travail se fait sous le controle du parquet et celui de la chambre d'instruction, il est le rouage essentiel des affaires les plus emblèmatiques. Le dossier dit de l'hormone de croissance en est une parfaite illustration. Une instruction, une procédure de près de 17 ans, balayée par trois magistrats d'un tribunal correctionnel. Comme si il y avait le droit dans un cabinet de juge et le droit devant la juridiction de jugement.
La suppression de ce juge et la décision de donner au procureur les pleins pouvoirs de l'enquête est une refonte totale de notre système. Les gardes des Sceaux reçus ce midi par Rachida Dati l'ont en partie rappelé. Cela doit s'accompagner, pense entre autres Michel Sapin, d'un changement de statut du parquet qui est aujourd'hui hiérarchiquement dépendant du pouvoir éxécutif. Autre corollaire: le renforcement des droits de la défense afin de garantir une égalité des armes entre accusateur et accusé.
Rachida Dati reçoit, écoute, consulte. Demain et dans les jours à venir elle continuera son tour de table. Parallèlement, la Commission Léger qui a reçu une nouvelle feuille de route continue elle aussi ses consultations même si deux de ses membres- un journaliste et une juge d'instruction-ont claqué la porte.
Question: le magistrat instructeur accusé d'être juge et partie peut-il encore sauver sa tête? Pas sûr.