C'est une révolte souterraine mais elle prend de l'ampleur.
En ligne de mire, le Premier Président de la Cour d'Appel de Paris, Jean-Claude Magendie. Ce dernier a décidé de réorganiser la juridiction dont il a la charge. C'est son droit mais aussi son devoir. Le Premier Président comme le Procureur Général est un chef d'entreprise. Il doit donc veiller aux bons fonctionnements de ses services et gérer au mieux les effectifs dont il dispose. Il a donc toute liberté de nommer qui bon lui semble aux postes clés de sa juridiction. Parmi les réformes engagées, J Cl Magendie a décidé de redistribuer les rôles parmi les présidents de cour d'assises.
Un poste essentiel dans la magistrature. Ce conseiller dirige les procès criminels. Il est à la tête d'un jury populaire. Indépendant, influent, laxiste, répressif selon son caractère et son tempérament, il pèse de tout son poids sur les verdicts. L'actualité récente l'a démontré. D'un coté, un procès, celui d'Antonio Ferrara, dont on retiendra uniquement les trop nombreux incidents d'audience et la difficulté de la présidente à tenir son calendrier et à donner l'impression que la justice était rendue sereinement. De l'autre, le procès des trois jeunes filles accusées d'avoir provoqué la mort de 18 personnes. Une audience où toutes les parties ont été entendues dans un climat apaisé. Un procès qui s'est déroulé dans les délais qui avait été fixé préalablement. Lors du verdict rendu publiquement, le Président a fait preuve de pédagogie à l'égard des accusées. Les jurés en sont sans doute sortis avec une image positive de l'institution judiciaire.
Or ce président d'assises, Alain Verleene, ne semble plus en "cour" aujourd'hui aux yeux du Premier Président de la Cour d'Appel. Résultat, chose assez rare dans l'histoire de l'institution judiciaire, ce haut magistrat vient de recevoir deux lettres ouvertes. L'une signée par des avocats pénalistes de la région parisienne mais aussi de Lille et d'Auxerre. Nombreux sont ceux qui ont du avoir un de leurs clients condamné par ce magistrat. Pourtant ils ont pris leur plume pour plaider en sa faveur. " Nous avons appris avec consternation votre décision de nommer contre sa volonté Monsieur Alain Verleene à la Présidence de la 11 ème Chambre de la Cour d'Appel de Paris afin de le contraindre à quitter la Présidence de la Cour d'Assises. (...) Les avocats expriment leur indignation devant une décision qui, sous couvert d'une simple réorganisation, relève de la volonté de se débarasser d'un magistrat unanimement réputé pour son exceptionnel professionnalisme et sa parfaite impartialité".
Le second courrier émane de magistrats, eux mêmes pour la plupart présidents ou anciens présidents de la cour d'assises à Paris. La tonalité est la même. "La mise à l'écart d'un collègue qui s'est toujours acquitté excellemment de ses fonctions dans l'intérêt de tous (nous) interroge dans le contexte d'une réforme de la cour d'appel encore en débat".
D'autres présidents de la cour d'assises de Paris seraient poussés vers la sortie, vers d'autres cours d'appel.
Hier, c'était au tour du Syndicat de la Magistrature de publier un communiqué. Il critique la décision de J Cl Magendie de vouloir mettre en place deux pôles d'activités dans la cour d'assises : le contentieux du droit commun et celui de la grande criminalité. "Véritable fait du prince, l'affectation des présidents d'assises, comme la répartition de l'ensemble des magistrats de la cour, relève du seul choix du Premier Président fragilisant ainsi l'indépendance des juges face à une hiérarchie toute puissante".
De son coté, le Premier Président justifie son choix. "Il n'est pas souhaitable que des magistrats occupent trop longtemps les mêmes fonctions".
Lundi dernier, une assemblée générale s'est tenue. 95 magistrats contre 50 se sont déclarés hostiles à cette réorganisation de la juridiction. Un verdict sans appel mais sans conséquence. Ce vote n'a aucune valeur. Il est purement consultatif. Au moins le Premier Président sait à quoi s'en tenir.