La tension entre les magistrats, les surveillants de prison et la Garde des Sceaux atteint des proportions rarement vues.
Depuis plusieurs semaines les incidents se multiplient. D'abord le 10 octobre, contrairement à ce qu'annoncait son calendrier et contrairement à une vieille tradition de la Chancellerie, Rachida Dati ne s'est pas rendu à Clermont-Ferrand au colloque de l'USM, syndicat majoritaire que l'on ne peut accuser d'être un repère de gauchistes. "On se sent seuls". "Elle n'est pas derrière nous" scandaient les magistrats. Bruno Thouzellier, le Président sortant, déclarait de son coté: " L'absence de Mme Dati est perçue comme un geste de mépris ou une fuite". En 2007, au palais de justice de Paris, la Ministre de la Justice nommée depuis 6 mois avait reçu un accueil glacial au précédent congrès. Plusieurs magistrats ce jour là avaient porté des cravates ou des foulards à pois, allusion à peine masquée à une remarquequelques jours plus tôt de Nicolas Sarkozy dans laquelle il comparait les magistrats à des petis pois, issus du "même moule".
Le 17 octobre, les deux syndicats, l'USM et le SM, ont pris un stylo commun pour sensibiliser leurs pairs du Conseil Supérieur de la Magistrature sur l'ambiance qui règnent désormais entre la Garde et ses magistrats. Dans le courrier, ils énumèrent les griefs qu'ils font à Rachida Dati. Selon eux, les atteintes au statut du parquet se multiplient. "C'est l'indépendance de l'autorité judicaire qui nous semble fragilisée par les pressions hiérarchiques constantes que fait peser le gouvernement". Ils poursuivent en ajoutant " la Garde des Sceaux désigne des prétendus responsables pour servir au mieux sa communication personnelle". Ils font allusion aux convocations de plusieurs parquetiers à la chancellerie pour rendre des comptes sur des résultats ou sur des décisions jugées sujettes à caution au ministère.
Résultat, les deux syndicats ont appelé à une journée d'action le 23 octobre. La seconde en un an.
Le même jour, à Lille, lors de leur convention nationale, les avocats ont chahuté la ministre de la justice lorsqu'elle a défendu sa loi sur la rétention de sureté.
Hier, ce sont trois syndicats de surveillants de prison qui sont entrés dans ce bras de fer. Ils appellent à un blocage des prisons à partir du 13 novembre. Eux aussi, ils se sentent "méprisés" par Rachida Dati. " La pénitentiaire est à l'agonie et la ministre ne le voit pas. Si on continue, il va y avoir le feu". Réunis hier matin à la Chancellerie, les syndicats ont déploré l'absence de la ministre. Cette dernière était partie pour Metz pour tenter de renouer le dialogue avec les magistrats de Metz après les événements d'il y a quinze jours. Un détenu de la prison de Metz-Queleu s'était suicidé ce qui avait amené la Chancellerie à diligenter une inspection à la cour d'appel de Metz. Rendez-vous manqué hier. Les magistrats de la cité judiciaire ont boycotté la rencontre. Seuls les chefs de juridiction ont répondu présents.
La situation est assez paradoxale. Contrairement à ces prédécesseurs, l'actuel ministre - à l'image du Chef de l'Etat - multiplie les rencontres sur le terrain. Elle ne ménage pas sa peine. Tribunaux, maisons d'arrêt, centres fermés pour mineurs. Ses déplacements sont presque quotidiens. Dans le même temps, tous les textes ou projets depuis son arrivée Place Vendome ont déclenché polémiques et incompréhensions: peines plancher, rétention de sureté, carte judiciaire.... Dans les mois qui viennent, elle aura à défendre une loi pénitentiaire, une refonte de l'ordonnace de 1945 pour les mineurs, une réforme du Code pénal. On n'a rarement vu dans le passé un tel climat de défiance entre des personnels de justice et leur ministre.
Demain, les sages du Conseil Supérieur de la Magistrature doivent rendre public un sondage IFOP sur les français et leur justice et présenter quelques préconisations pour restaurer la confiance entre une opinion publique et l'institution judiciaire. Force est de constater que la rupture est à son apogée à tous les étages de la maison justice. Il y a donc urgence.