Le 30 septembre 2013, en cours d'après-midi, une jeune fille de 16 ans a été violée dans les toilettes d’un lycée de La Rochelle. La victime n'a pas pu identifier l'auteur des faits, précisant avoir « été agressée par-derrière et dans l'obscurité ». Une trace d’ADN exploitable a toutefois été trouvée sur les vêtements de la victime.
On peut déjà supposer qu'il s'agisse d'une trace "discriminante", directement liée à l'agression subie (sperme ou salive de l'auteur), et non issue de pollution environnementale (trace d'urine provenant des toilettes dans lesquelles se sont déroulés les faits, cheveu déposé au cours de contacts fortuits avec d'autres personnes durant la journée...).
Les magistrats et enquêteurs s'étant trouvés confrontés à l'improductivité des investigations réalisées à ce jour, le prélèvement des empreintes ADN de plus de 520 hommes a été ordonné et effectué, à compter du 14 avril dernier, afin de tenter de confondre l’auteur du crime. S’il s’agit d’une première dans un établissement d’enseignement, des prélèvements ADN « de masse » ont déjà pu être effectués dans le cadre d’autres affaires (à la suite du meurtre précédé de viol de la jeune Caroline DICKINSON, par exemple, le juge d’instruction avait fait procéder à des prélèvements d'ADN sur l’ensemble des hommes du village de Pleine Fougères, soit plus de 3500 individus).
Les personnes concernées par l'enquête rochelaise ont été invitées à se soumettre aux prélèvements, le consentement de leurs parents étant requis pour les élèves mineurs. Les déclarations des lycéens interrogés par la presse à ce propos ont globalement révélé une appréciation plutôt positive de ces investigations très particulières, les jeunes gens se montrant plus sensibles aux objectifs d'identification du criminel et de disculpation collatérale des innocents qu'à l'inquiétude liée à une possibilité de "fichage". Un seul lycéen, majeur, a refusé de consentir au prélèvement de son empreinte.
Des voix contradictoires se sont alors élevées, soit pour condamner le refus de participation à l’enquête du jeune homme, soit pour louer le courage de celui qui, au nom de "raisons personnelles", s'exposait à devenir particulièrement suspect aux yeux des enquêteurs.
Sur le plan légal, ce jeune homme était parfaitement en droit de refuser le prélèvement de son empreinte ADN, sans encourir de sanction pénale.
Le cadre juridique du régime de prélèvement, d'exploitation et de conservation des empreintes génétiques est fixé par les articles 706-54 et suivants du code de procédure pénale (dont les courageux lecteurs remarqueront qu'ils constituent un excellent exemple d'écriture législative que l'on pourrait qualifier d' "avec les pieds" "opaque"), relatifs au Fichier National Automatisé des Empreintes Génétiques (FNAEG).
Ce fichier regroupe pour l'essentiel les empreintes génétiques tirées de traces biologiques découvertes sur les scènes de crime, ainsi que celles qui sont issues de prélèvements de personnes déclarées coupables de certaines infractions ou dont la responsabilité pénale n’a pu être retenue en raison d’un trouble mental, ou encore des individus mis en cause dans le cadre d'enquêtes relatives à certaines infractions.
Dès lors qu’une trace ADN est prélevée dans le cadre d’une procédure d'enquête, celle-ci est transmise au FNAEG pour comparaison avec les empreintes déjà enregistrées.
A défaut de correspondance, en application de l’article 706-54 du code de procédure pénale, l’officier de police judiciaire, le procureur de la République ou le juge d’instruction peuvent « faire procéder à un rapprochement de l'empreinte de toute personne à l'encontre de laquelle il existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu'elle a commis l'une des infractions mentionnées à l'article 706-55 avec les données incluses au fichier, sans toutefois que cette empreinte puisse y être conservée. »
L’obligation de se soumettre au prélèvement n’est donc possible que si les autorités constatent l’existence d’indices de nature à impliquer l’individu concerné dans la commission des faits.
Une cour d'appel a ainsi pu relaxer un « prévenu qui a refusé de se soumettre au prélèvement biologique destiné à l'identification de son empreinte génétique, dès lors qu'à aucun moment il n'est mentionné dans le dossier judiciaire quels sont les éléments déjà recueillis par le juge d'instruction ou les enquêteurs susceptibles de les autoriser à considérer que le prévenu ait commis une infraction ».
Le refus de se soumettre à un prélèvement obligatoire est sanctionné de peines d'un an d’emprisonnement et de 15.000 € d’amende.
En l’occurrence, il semble qu’aucun indice particulier ne permette en l’état de soupçonner de façon caractérisée qui que ce soit, a fortiori plus de 500 personnes dont les seuls points communs seraient d’être de sexe masculin et d’avoir pu se trouver dans l’enceinte de l’établissement scolaire lors de la commission des faits. Dès lors, les prélèvements d'empreintes ADN devaient nécessairement être effectués sur la base du volontariat.
C’est la raison pour laquelle le jeune lycéen a pu dans un premier temps refuser de s’y soumettre, sans s’exposer à des poursuites pénales; avant de se raviser.
Il aurait été indiqué par la Procureur de la République rochelaise, qui a ultérieurement tempéré ses déclarations, que toute personne qui refuserait de prendre part à cette opération de prélèvement serait placée en garde à vue.
Cette affirmation ne manque pas d’étonner dans la mesure où l’exercice d’un droit ne saurait à mon sens correspondre à « une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu'elle a commis ou tenté de commettre un crime ou un délit ».
Si aucune correspondance de profils ADN n'avait pu être établie par l'exploitation des prélèvements réalisés dans le lycée, il est certain que des investigations complémentaires auraient été effectuées concernant le jeune objecteur (vérifications d’emploi du temps, recherches à propos de ses relations, liens éventuels avec la victime…), afin de caractériser les fameuses "raisons plausibles" de soupçonner la commission des faits criminels avant d'envisager son placement en garde à vue. Dans cette dernière éventualité, il n'aurait cette fois pu se soustraire au prélèvement d'ADN sans commettre une infraction pénale.
Quant aux centaines d'empreintes prélevées sur la personne des élèves et professionnels fréquentant le lycée qui n'aboutiront à aucune correspondance, celles-ci ne pourront légalement faire l’objet d’aucun enregistrement ni de conservation au sein du FNAEG.