Le détenu, le fax et le code

Un homme mis en examen pour le meurtre d'un disc-jockey, battu à mort en 2011 en Seine-Saint-Denis, a été libéré mercredi à cause d'un manque d'encre dans un télécopieur.

Exprimée sans plus de nuances, cette dépêche fait évidemment frémir.

Il me semble pourtant que les décisions en cause, rendues par la Cour de cassation et la Chambre de l’instruction de la Cour d’appel de Paris ne peuvent pas être contestées, compte tenu des règles juridiques applicables en la matière.

 

Le tribunal de grande instance de Bobigny (Seine-Saint-Denis), le 7 février 2011.

Rappelons brièvement les faits : le 31 décembre 2011, un homme a été battu à mort par plusieurs personnes pour leur avoir refusé l'entrée d'une soirée qu'il avait organisée. Quelques temps après, deux personnes ont été mises en examen par un juge d’instruction dont M. Amadou X., principal suspect, et placées le même jour en détention provisoire par le juge des libertés et de la détention.

Après avoir effectué un an de détention provisoire, M. Amadou X. a de nouveau comparu devant le juge des libertés pour la prolongation de sa détention provisoire pour une durée de six mois. Ce juge a rendu une ordonnance de maintien en détention le 26 juin 2013. Le mis en examen a relevé appel de cette décision le 4 juillet suivant depuis son lieu d’incarcération, par déclaration au greffe de la maison d’arrêt.

Ce document a été transmis par télécopie au greffe du juge d’instruction, afin que la déclaration d’appel et l’entier dossier de la procédure soient transmis sans délai à la Chambre de l’Instruction.

La difficulté qui est apparue en l’occurrence est que la déclaration d’appel, émise depuis la maison d’arrêt le 4 juillet 2013, n’a été retranscrite au greffe du juge d’instruction que le 30 juillet du fait d’un dysfonctionnement du serveur informatisé de télécopie du tribunal du 26 juin au 16 juillet 2013 qui a empêché la réception des télécopies.

L’appel n’a ainsi été examiné par la Chambre de l’instruction que le 5 août.

Or l’article 194 du code de procédure pénale précise qu' « en matière de détention provisoire, la chambre de l'instruction doit se prononcer dans les plus brefs délais et au plus tard dans les dix jours de l'appel lorsqu'il s'agit d'une ordonnance de placement en détention et dans les quinze jours dans les autres cas, faute de quoi la personne concernée est mise d'office en liberté, sauf si des vérifications concernant sa demande ont été ordonnées ou si des circonstances imprévisibles et insurmontables mettent obstacle au jugement de l'affaire dans le délai prévu au présent article. »

Ce délai est porté à vingt jours en cas de comparution personnelle du mis en examen devant la chambre de l’instruction.

Toute la question était donc de savoir si le dysfonctionnement du fax pouvait être considéré comme une circonstance imprévisible et insurmontable.

Si la chambre de l’instruction a dans un premier temps confirmé le maintien en détention du mis en examen, la cour de Cassation a cassé cette décision, estimant que les difficultés de télécopie du Tribunal ne pouvaient être considérées comme des circonstances imprévisibles et insurmontables faisant obstacle au jugement de l'affaire dans le délai prévu par la loi.

La Cour de cassation a ensuite renvoyé le dossier devant la chambre de l’instruction qui a ordonné la mise en liberté de M. Amadou X..

Même si elle peut a priori heurter, notamment les membres de la famille du défunt, cette décision est parfaitement cohérente avec le droit applicable et doit être approuvée.

En effet, s’agissant du contentieux de la détention provisoire de personnes présumées innocentes, il est indispensable que les juridictions statuent dans des délais stricts selon des règles clairement établies ; une législation qui permettrait de repousser sine die l’examen d’une demande de réformation d’une décision ordonnant ou prolongeant une détention provisoire ne saurait être envisagée dans un Etat de droit.

Le défaut de respect des règles fixant ces délais doit en conséquence être sanctionné. La loi prévoit en la matière une sanction logique et cohérente : la mise en liberté d’office de la personne mise en examen à défaut de décision dans le délai légal.

En l'occurrence, le délai de vingt jours n’ayant pas été respecté, M. Amadou X. devait être libéré.

La Cour de cassation  a considéré que l'arrêt de la Cour d'appel ne justifiait pas suffisamment de la nature du problème technique rencontré pour caractériser les circonstances insurmontables susceptibles de permettre un examen de l’affaire en dehors du délai légal, précisant qu’elles doivent être « extérieures au service de la justice ».

Une personne placée en détention provisoire, ce qui correspond selon la loi à une situation exceptionnelle, n’a pas à subir un dysfonctionnement de la justice retardant l’examen de son appel. Le maintien en détention de M. Amadou X. par une interprétation extensive de la notion de "circonstances insurmontables" n'aurait fait qu'ajouter une anomalie supplémentaire à l'irrégularité initiale.

Bien que le sentiment d'horreur exprimé par les parties civiles soit humainement compréhensible, nous ne devons pas être choqués par l’application de la règle de droit : la libération dans le respect de la loi d’une personne présumée innocente est normale dans un Etat de droit, d’autant que M. Amadou X.. reste mis en examen et pourra sans difficulté être renvoyé devant la cour d’Assises (un défaut de comparution de sa part pouvant entraîner délivrance d’un mandat d’arrêt à son encontre ou un jugement en son absence).

Il est en revanche révoltant de voir une justice privée d'efficacité faute de moyens matériels. Que la pénurie de toner ait été accompagnée à Bobigny d'une défaillance humaine est probable : je ne parviens pas à concevoir que les chefs de juridiction et le directeur de greffe qui se sont vu signaler le problème technique rencontré par le fax du cabinet d'instruction aient laissé cette situation perdurer plusieurs semaines durant. Mais je ne peux davantage croire qu'ils l'aient fait par simple indolence. Pas lorsque l'on sait les délais stricts qui encadrent les procédures d'instruction et la réactivité absolue que la loi exige de ces services.

La pénurie matérielle touche au demeurant l'ensemble des services judiciaires : peut-on accepter que des procédures durent trois ans devant certaines cours d’appel, que les décisions urgentes des juges aux affaires familiales soient rendues avec plusieurs mois de retard par manque de personnel, que certaines juridictions n’aient pas les moyens de réparer les fuites de toitures - ou de racheter du papier ou des cartouches de toner ?

Que l’on soit magistrat, greffier, avocat, prévenu, accusé, partie civile, justiciable en général ou simple citoyen, nous avons tous intérêt à ce que la justice, rendue au nom du peuple français, ait les moyens matériels et humains d’éviter de nouveaux dysfonctionnements tels que ceux qui ont pu être constatés dans le cas de M. Amadou X..