"Personne ne détient la vérité entière sur la prison", entretien avec François Chilowicz, réalisateur de Hors la loi

"Hors la loi", la trilogie documentaire réalisée par François Chilowicz sera diffusée sur France 2 les mardi 12, 19 et 26 février à 22h30. Cette immersion en caméra subjective dans le parcours de six justiciables, de leur arrestation jusqu'à leur sortie de prison, a demandé cinq ans de préparation et de tournage. Le réalisateur nous explique son projet et cette expérience inédite.

Comment est né le projet de « Hors la loi » ?

Le projet de « Hors la loi » vient initialement d’Anne Roucan et de Fabrice Puchault  de l’unité documentaire de France 2. Ils souhaitaient faire un travail de fond sur la question carcérale. C’était en 2007, une période où la sécurité et la répression étaient des thèmes politiques particulièrement forts, beaucoup repris dans les médias. La population carcérale augmentait sans cesse.

Quand j’ai accepté de réaliser ce film, je savais déjà que la question de la prison était complexe et que faire un film « sur » la prison risquait de nous faire tourner en rond. On ne peut pas, je crois, accéder à la vérité de la prison. On peut par contre beaucoup plus facilement interroger le sens de la peine. Nous nous sommes dit que pour travailler là dessus, il fallait travailler d’emblée avec tous les acteurs de la chaîne pénale. Les policiers, les gendarmes, les magistrats, les avocats, les travailleurs sociaux – ils sont nombreux- , les auteurs de délits et les victimes. Pour répondre aux idées très clivées qui parcourent l’opinion sur un sujet aussi polémique, l’idée était de recueillir le point de vue de chacun, d’avoir accès à la petite part de lucidité de chacun, qu’il s’agisse du magistrat ou de l’accusé, du gendarme ou de la victime. Personne ne détient la vérité entière sur la prison, mais tous ont des fenêtres très précises pour apprécier la réalité et la complexité des choses.

Pendant le tournage, quelle a été votre relation avec les six protagonistes ?

Ma relation avec les six protagonistes que j’ai suivis entre 6 mois et 2 ans est très particulière. Cela commence d’abord par une rencontre tout à fait inhabituelle. La personne vient d’être interpellée ou est déférée après 48 heures de garde à vue. Elle ne sait rien du film bien sûr et a un problème très sérieux : on l’a mise en cause pour un délit qui devrait vraisemblablement la conduire en prison dans les prochaines 48 heures. L’interpellé se trouve alors face à moi, équipé d’une caméra qui lui dis : « Je veux vous accompagner. Je serai avec vous pendant l’instruction, au tribunal, en prison s’il y a lieu et à la sortie, même dans deux ou trois ans. Je protège votre anonymat, votre nom sera changé, je protège les références qui permettraient de vous reconnaître trop facilement. On ne vous verra jamais, la caméra sera toujours derrière vous pour épouser votre point de vue. »

Même si j’avais fait plusieurs mois de repérages avec les policiers, si je connaissais bien l’environnement, je me disais que peu de gens allaient accepter. Et puis, après la première rencontre, il fallait qu’ils acceptent d’aller jusqu’au bout, avec des problèmes bien plus graves que celui de participer à un film. Je ne voulais pas leur mettre une pression dont ils n’avaient pas besoin. Pour les six personnages, cela a donc été un vrai pari.

Le fait que nous y soyions arrivés a longtemps été un mystère pour moi. En y réfléchissant, je me dis que j’avais une présence qui ne jugeait pas, face à des interlocuteurs qui tous portent un jugement, policiers comme surveillants ou magistrats. C’est d’ailleurs ce que m’a appris le film : à ne pas juger. Je me le suis interdit pendant le tournage, quelques soient les comportements. J’ai vu la justice œuvrer et je me sens humble face à elle. Et puis, je pense aussi que j’étais une garantie que la procédure serait régulière. C’est une inquiétude quand vous êtes totalement isolé, sans contact, pendant la garde à vue et le temps de la prison, hormis les permis de visite. Il y a une bulle de solitude qui fait partie des moyens de pression psychologique sur les prévenus. Du coup, ma compagnie permettait aussi d’échapper à ça.

Le tournage était assez étrange. La caméra étant située au-dessus de l’épaule du prévenu ou du condamné, je ne filme jamais le sujet mais je filme ce qui se présente à lui. Cela veut dire que pour certains d’entre eux, au bout de 48 heures de garde à vue, où nous avons été physiquement très proches, où je les sentais bouger, je ne connaissais toujours pas leur regard, sinon furtivement au moment où ils m’ont donné leur accord pour tourner. Au fil des mois, on se croise, on se salue très rapidement, on se met en place, on tourne. On apprend donc à se connaître très lentement. Bizarrement, au fur et à mesure du tournage, je les sens réagir, je peux cadrer en fonction de la façon dont ils parlent,  je peux presque anticiper leurs réponses, mais tout comme le spectateur, je n’ai aucune idée des émotions qui passent sur leurs visages, de leur regard à tel ou tel moment. C’est comme si j’avais fait un film les yeux bandés.

Le premier épisode de Hors la loi sera diffusé mardi 12 février à 22h30 sur France 2. Retrouvez toutes les informations sur le film et les coulisses du tournage sur ce blog et le site www.horslaloi.tv