Spéciale Panthéon : Le reste de la "doc"

Je termine ce cycle de critiques de livres relatifs à l'entrée au Panthéon de Geneviève de Gaulle Anthonioz, Germaine Tillion, Pierre Brossolette et Jean Zay. C'était, et c'est encore, un plaisir rare que de se plonger dans ce sujet. J'ai vécu avec ces cinq personnages écrasants (les quatre héros mais aussi le Panthéon lui-même) pendant une douzaine de semaines, tout en préparant d'autres spéciales.

Pour résister, sous la direction d’Alain Chouraqui, éd. Le Cherche Midi

Pour résister

Et vous, qu’auriez-vous fait ? Résistant, pétainiste, aquoiboniste, indifférent ? Moi, je ne sais pas. Et j’aimerais savoir. Existe-t-il un vade mecum du révolté ? Une grille de lecture du courage ? Certainement pas. Mais au moins peut-on apprendre à identifier et mesurer l’inacceptable. C’est déjà un début. Voilà le travail colossal amorcé par cet ouvrage collectif, qui émane du Conseil Scientifique du Camp des Mille, sous la direction d’Alain Chouraqui.

D’abord, il s’agit de voir dans le contexte les signes d’un futur emballement. Les auteurs reviennent sur les tensions sociales et les préjugés des années 30 ; comment des signes disparates et d’importance apparentes diverses peuvent créer un tout, quand le quotidien devient politique, processus en plusieurs  étapes que détaille le livre.

Mais ce n’est pas qu’un bouquin d’Histoire. Cet ouvrage décrit aussi des expériences passionnantes de soumission à l’autorité et de conditionnement. Celle de Milgram (les fausses décharges électriques infligés par un sujet conditionné à un acteur ; ou découvrez le tortionnaire qui est en vous), ou le jeu de rôle de Zimbardo (dans un sous sol aménagé en fausse prison, les « joueurs » sont répartis entre détenus et gardiens, dont les abus vont rapidement apparaître). Plusieurs études comportementales sont ainsi décrites…

Suit une liste des éléments sur lesquels le refus d’un ordre inacceptable peut s’appuyer, ainsi que quelques conseils de méthode.

Cet ouvrage débute sur des stages ouverts aux policiers, militaires, pompiers, fonctionnaires. (Voir à ce sujet le reportage de Mathieu Boisseau dans le JT de 13h du 8 mai dernier). Un livre d’utilité publique.


Des jeunes policiers retournent à l'école pour apprendre à ne pas obéir à tous les ordres

Bourreaux et survivants, par Marie-Pierre Samitier, ed. Lemieux Editeur, 2015

bourreaux et survivants

Un essai de Marie-Pierre Samitier, consœur de la rédaction de France 2. A partir de témoignages de victimes de la Shoah, elle tente d’identifier les ressort du pardon et d’en analyser la légitimité (le sous-titre est « Faut-il tout pardonner ? ».). Quel doivent être les critères du pardon ? Peut-on pardonner à quelqu’un qui n’a pas demandé pardon ? Pour étayer sa réflexion, l’auteure nous plonge dans « l’après après-guerre », quand la réconciliation de l’Europe de l’ouest passe par  l’oubli du châtiment, particulièrement en Allemagne. On compte par exemple des milliers de nazis et de criminels de guerre, ou leurs veuves, pensionnés jusqu’à la fin de leur jour. Et que dire de l’ancien SS français André Bourral, entré dans les ordres au monastère de la Pierre Qui Vire, à qui d’anciens camarades de nazisme rendaient visite chaque année pour évoquer le bon vieux temps ? Il ne formula jamais la moindre repentance en présence des autres moines, dont certains avaient résisté. Autant de Papon, de Bousquet, de Touvier dont l’impunité rend tout pardon impossible. Germaine Tillion, elle, affirmait que « certains crimes ne peuvent être pardonnés »

Le livre se termine par la notion de pardon dans le judaïsme, en philosophie et en psychanalyse.

Synthétique, implacable, fluide ; une enquête intéressante. Je regrette que n’y soit pas abordée l’organisation politique du pardon par Mandela en Afrique du sud ou par les tribunaux rwandais. Un prochain livre ?

Résister, toujours, par Marie-José Chombart de Lauwe, éd. Flammarion

Résister, toutjours

Marie José Chombart de Lauwe était à Ravensbrück avec Geneviève De Gaulle Anthonioz et Germaine Tillion. Elle partage aussi avec elles son lien avec la recherche (comme Germaine, elle a travaillé au CNRS que créa jean Zay, décidément…) . Elle a longtemps étudié les cités de banlieue et « prédit » leur marginalisation. Est-ce pour cela que l’un de ses fils est devenu architecte ? Résister toujours est un récit à la première personne, chronologique. L’auteure prend soin de ne pas transformer son témoignage en auto célébration. Elle y parvient. Ses descriptions, précises, suffisamment imagées, prennent le pas sur son sort personnel. On est à ravensbrück avec elle, on déambule plus tard dans les rues du quartier Saint Paul à Paris, sous les tours de la Grande Borne à Grigny et près des barres de la Villeneuve à Grenoble, quartiers qu’elle a étudié, en particulier pour y constater le peu de place qu’ils laissent aux enfants. Une lecture contemporaine, sur la forme comme sur le fond, et par conséquent un défi (involontaire ?) au jeunisme.

Tribunal de guerre du IIIème Reich, d’Auguste Gerhards, éd. Cherche Midi et ministère de la défense, 2014

tribunal de guerre du IIIème Reich

En enquêtant sur son oncle, l’historien alsacien Auguste Gerhards est tombé, à Prague, sur des archives inédites : les compte rendus judiciaires des Français jugés par le tribunal de la Wermacht. La première partie de l’ouvrage est une synthèse assortie de commentaires sur la logique générale de cette justice militaire allemande. On est frappé par l’intensité du « travail » de ce tribunal, et à travers elle l’ampleur de la répression à laquelle les Résistants avaient à faire face.

La deuxième partie (la plus longue) de ce livre est un annuaire commenté de l’héroïsme ordinaire. Chaque dossier est scrupuleusement traduit, accusé par accusé. Certains s’en sortiront avec un non-lieu, la plupart seront condamnés. Exemples : Jean Autran, Résistant niçois du réseau « Alliance ». Pas de procès : la « justice militaire le classe NN (Nuit et Brouillard, le sigle des détenus politiques) et le condamne à la déportation au camp alsacien du Struthof, où il est exécuté. Albert Dennu, Résistants alsacien jugé pour « préparation d’atteinte à la sûreté de l’Etat. Pas de procès, condamné à mort, libéré in extremis en avril 1945. Autant de destins relatés froidement par les archives militaires. 70 ans plus tard, l’émotion se sédimente, lettre après lettre.

Lady mensonges, de Marie-Laure Le Foulon, éd. Alma éditeur

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Mary Lindell a été invitée sur les plateaux pour incarner la Résistance. Elle a été l’héroïne d’une série télé outre Manche. Elle racontait son combat pour « exfiltrer » les aviateurs britanniques abattus au dessus de la France, où elle vivait avec son mari français. Mais tout cela était faux, du moins en très grande partie. Lady mensonges a inventé son roman personnel. Pire, elle a très vraisemblablement dénoncé des compagnes de détention. Pourquoi ? Pour échapper au jugement d’une histoire personnelle bien moins flatteuse ? Pour le profit ? Pour la gloriole ? Un peu de tout cela à la fois. Marie-Laure Le Foulon, journaliste, a été mise sur cette piste par Anise Postel-Vinay, une vraie Résistante, elle, compagne de route et de déportation de Geneviève De Gaulle Anthonioz et de Germaine Tillion. Elle démonte patiemment, source après source l’innommable supercherie. XX pourrait être une pittoresque mythomane comme le héros très discret de Jean-François Deniau. Mais Lady mensonges est mesquine, agressive étriquée. C’est une limite de ce livre qui finit par donner la nausée. C’est aussi sa grande qualité : un « Cluedo » historique palpitant, qui exalte « en creux » les qualités des vraies héroïnes de la seconde Guerre Mondiale. Comment, malgré de nombreux sceptiques, une sinistre menteuse a berné l’Europe entière durant toute sa vie.

Au Panthéon, Olivier Loubes, Frédérique Neau-Dufour, Guillaume Piketty, Tzvetan Todorov, introduction de Mona Ozouf, éd. Textuel

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Quatre biographies concises rédigées par quatre historiens spécialistes de chacun des «  panthéonisés ». Parfait pour ceux qui veulent s’en tenir à l’essentiel. Mona Ozouf, à qui l’on prête une grande influence sur le choix de François Hollande, particulièrement au sujet de Pierre Brossolette, signe l’introduction de cet ouvrage. Philosophe, historienne, elle est l’une des intellectuels les plus légitimes sur la question du partage des valeurs démocratique et républicaines. Dans son texte, elle insiste sur la nécessité d’éviter les leçons de morale et les discours conceptuels auxquels les plus jeunes seront à raison allergiques. Elle exalte plutôt la force de l’exemple. C’est exactement la position de France Télévisions, et particulièrement de l’équipe des éditions spéciales. Cette obsession pédagogique concrète, nous n’en sommes que les héritiers ; un certain Jean Zay, ministre de l’instruction publique, avait la même en 1936 : « L’Histoire n’est pas une maîtresse de morale, et c’est la fausser que de la faire tourner au prêche. Nous avons le droit pourtant, lorsque nous enseignons des jeunes gens, de fixer leur attention sur ce qu’elle nous offre de tonique ».

Entrez au panthéon, Sous la direction d’Olivier Le Naire, éd. Omnibus/L'Express

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« Un nid à poussière sans air et sans lumière » pour le général de Gaulle,  « le plus beau gâteau de Savoie  qu’on ait jamais fait » écrit Victor Hugo, « Entrez au Panthéon » ou les coulisses  de la dernière demeure des grands hommes. Tour à tour Eglise ou temple laïc au gré des pouvoirs, sachez qu’on y entre parfois contre son gré, ce fut le cas de Jaurès qui rêvait d’un petit cimetière ensoleillé et fleuri de campagne. Apprenez qu’on peut en sortir, ce fut le cas de Marat ou de Mirabeau  dégradés  de leur brevet de bons révolutionnaires . Plus que des anecdotes, c’est  l’histoire politique française qui est ainsi  éclairée , car quoi  de plus signifiant et symbolique que le choix des morts que l’on souhaite honorer. On découvre dans ce livre la façon dont chaque président de la République a vu l’histoire, mais a -aussi et surtout -choisi de  raconter la sienne.

Cette dernière critique est signée Nathalie Saint-Cricq, rédactrice en chef du service politique de France 2. Merci pour ton aide précieuse, Nathalie !