La réforme territoriale ou le miroir aux alouettes de la gestion publique.

Chacun connait le piège imaginé dans le passé par les chasseurs, avec les jeux de miroirs, pour attirer les oiseaux et les attraper au filet. La réforme territoriale est bien partie pour servir de miroir à un idéal de saine gestion, dont les alouettes pourraient bien être les contribuables. Cette réforme prend de plus en plus des allures de chemin de croix pour le gouvernement. Elle pourrait même, au final, se retourner contre lui, tant les vertus dont ses administrations centrales l’ont parée, s’avèreront des leurres financiers tôt ou tard. C’est si vrai que personne n’envisage de faire des évaluations ex-post des effets de cette réforme, craignant qu’elle ne produise des dépenses supplémentaires.

Mon expérience des régions est trop ancienne pour me faire une idée précise, car voilà longtemps que je n’ai pas siégé à cet échelon. Mais, pour les départements, je connais parfaitement maintenant leur mécanique financière et de gestion. Je puis affirmer qu’il n’existe, dans la gestion publique, aucun cas plus hypocrite que celui-ci ! L’Etat a transféré aux conseils généraux toutes les dépenses (notamment sociales) qu’il ne parvient pas à maitriser, en faisant mine de s’indigner de leur dérive, tout en continuant à les prescrire généreusement lui-même. Générosité d’autant plus fervente qu’elle ne s’impute pas dans ses comptes. Ce qui, optiquement, lui permet d’affirmer que sa propre gestion est maitrisée, alors que celle des départements ne l’est pas. Et qu’il faut, dès lors, les supprimer.

Ce raccourci est doublement cynique. D’une part, il n’avoue pas la pitoyable défausse d’un Etat poltron qui fuit face à la marée des dépenses sociales qu’il pas le courage d’endiguer. D’autre part, la suppression des départements ne supprimera en rien la dépense, laquelle restera supportée par les contribuables à qui, pour l’instant, on désigne le conseil général comme le responsable du gaspillage. En fait, la maitrise des dépenses passe par l’édiction la règle simple du « prescripteur-payeur » et par le courage politique pour en plafonner le montant. La réforme territoriale sera sans effet au regard de ces deux principes puisqu’elle s’attaque au comptable en dissimulant le prescripteur. La France n’échappera cependant pas à une clarification sur ce mensonge démocratique qui consiste à imputer des dépenses sur les comptes d’un tiers, en le dénonçant comme responsable de la situation. Les tours de passe-passe auxquels nous assistons ne font que retarder l’heure de vérité.

En prenant l’exemple du département de l’Orne dont la gestion est d’une exigence exemplaire, la manipulation en cours est d’une clarté limpide. Sur la période 2011-2013 soit 3 années, les dépenses obligatoires décidées par l’Etat, et sur lesquelles le Conseil Général n’a aucune influence, ont augmenté de 5,6%. Les dépenses obligatoires (routes et collèges) sur lesquelles le CG a un pouvoir de modulation n’ont augmenté que de 0,6 %. Quant aux dépenses facultatives (eau, assainissement, urbanisme, logement, sport, culture jeunesse) elles ont diminué de 3,5 % afin de couvrir partie de la dérive des dépenses obligatoires. Pendant le même temps, les dotations ont diminué de 2,1% alors que les seules dépenses sociales obligatoires augmentaient, elles, de 3,5%. Pour traduire tout cela en langage de tous les jours, les dépenses supplémentaires imposées par l’Etat au département de l’Orne sont du double des économies qu’il peut réaliser sur les dépenses dites facultatives (même si elles touchent à l’essentiel de la vie quotidienne) et la baisse des dotations est également du double de la dérivée des dépenses sociales dont le même Etat est le prescripteur. Cette situation ressemble à la holding du Groupe qui ruinerait ses filiales pour essayer de survivre.

Selon quel raisonnement technocratique parviendrait-t-on à démontrer que par la magie de cette réforme territoriale cette tendance mortelle pourrait être inversée ? Aucun raisonnement ne le permets. La vérité est tout autre. Nous sommes en présence d’une fuite en avant, liée à un diagnostic erroné. L’homme malade de la gestion publique est l’Etat ! Il est bavard par ses lois inutiles, inconstant pour ses changements incessants, irresponsable par ses prescriptions ruineuses et non finançables, et hypocrite en livrant les collectivités territoriales et les départements en particulier à la vindicte populaire, alors qu’ils ne sont que les greffiers d’une gestion qu’ils reprouvent mais que la loi ne leur permet pas d’empêcher.

Pourtant, oui la réforme est nécessaire. Oui, elle est possible. Il suffit de la prendre à l’endroit, et non à l’envers, comme elle est engagée. Au lieu de l’imposer d’en haut, là où la mauvaise gestion fermente chaque jour, elle devrait partir du bas. Qu’on donne un délai, même court, aux collectivités territoriales pour construire une réforme exigeante qui produise de vrais fruits. Elles s’y attèleront immédiatement. Ainsi, elles seront, devant les Français, débitrices d’une obligation de résultat pour faire réussir enfin une vraie réforme. Evidemment cela demande un Etat modeste qui se dégrise enfin de son infatuée majesté.

Est-ce possible ?