C’est plus qu’une main tendue. Le dimanche 19 novembre, au « Grand Jury » RTL-Le Figaro-LCI, Marine Le Pen suggère à Laurent Wauquiez de « sortir de l’ambiguïté » et de lui « proposer une alliance politique ». La présidente du FN dit notamment ceci : « Quand j’entends le discours de M. Wauquiez aujourd’hui je me dis : après tout, s’il est sincère, compte tenu des propos qu’il tient, il devrait aller jusqu’à proposer une alliance politique. M. Wauquiez ne peut pas dire sincèrement la même chose que nous, et parfois avec des mots plus crus que les nôtres, et en même temps expliquer que nous devrions être au ban de la vie politique française – il faut être cohérent, il faut être logique ». Le lendemain, Louis Aliot confirme sur l’antenne de BFMTV : le FN est prêt à « bâtir des majorités communes pour les municipales » avec Les Républicains.
Ce n’est pas qu’un revirement. C’est également un retour en arrière dans l’histoire du FN et, n’en déplaise à Marine Le Pen, la ratification d’une des bases du mégrétisme. L’ex-numéro deux du FN, symbole de la dédiabolisation, en rêvait : s'allier avec la droite. Dès les années 1990, l’ancien du RPR met graduellement en place un double dispositif – idéologique et structurel – afin de créer le grand parti d’une droite décomplexée qui ferait des alliances pour aller à la confrontation directe avec le parti de gauche majoritaire. Bruno Mégret n’est pas parvenu à concrétiser cette stratégie avec le FN. Il a tenté, en vain, de la mettre en place avec le Front national-Mouvement national après la scission de 1998-1999. Il s’agissait alors d’enterrer le FN de Jean-Marie Le Pen et ce qu’il représentait – à savoir les errements d’un homme et l’héritage idéologique d’une certaine extrême droite. Dans un document interne du Mouvement national, il affiche clairement cette rupture et sa volonté d’alliance avec la droite républicaine : « Le Mouvement national entend (...) tourner la page de l’ancien Front national. Il n’a plus rien à voir avec le FN lepéniste. Il se situe clairement au cœur de l’ensemble de la droite nationale et républicaine soucieuse d’œuvrer au redressement du pays. En rompant avec l’extrême droite, il va se situer, plus concrètement, entre le RPF hypothétique et le FN résiduel, avec l’ambition de mobiliser l’ensemble de l’électorat correspondant à ce vaste espace politique ».
En 2013, lors d’un entretien, Bruno Mégret revenait sur le contexte post-scission. Il pensait, explique-t-il rétrospectivement, que le « système » le suivrait et lâcherait Jean-Marie Le Pen. Il insistait également sur cette stratégie d’alliance avec la droite républicaine et proposait cette analyse : « À la réflexion, la réaction des responsables du système était tout à fait rationnelle. Le Pen servait, même sans le vouloir, les intérêts des deux partis dominants. Pour le PS, il fallait que le FN reste diabolisé par Le Pen pour gêner le RPR lors des élections. Pour le RPR, il était préférable que le FN soit limité électoralement grâce à Le Pen de façon à ne pas trop empiéter sur son espace. Il s’est donc opéré une forme de consensus, le PS et le RPR souhaitant que le FN reste dirigé par Le Pen. Avec moi à la tête du mouvement, les choses auraient été différentes. J’étais plus dangereux pour le RPR car j’aurais pu déstabiliser le parti de l’intérieur, à la fois en récupérant des électeurs et en pratiquant une politique de la main tendue. J’aurais ainsi mis en cause le système du Front républicain tel qu’il se pratiquait. J’étais plus dangereux aussi pour le PS car j’aurais pu dédiaboliser le mouvement et passer des accords avec le RPR ».
Marine Le Pen n’a cessé de souligner une des différences fondamentales entre sa vision politique et celle de Bruno Mégret : si l’ancien délégué général désirait « travailler » avec la droite et multiplier les alliances, la présidente du FN ne cessait de le refuser tout en revendiquant la ligne de Samuel Maréchal « Ni droite ni gauche ». Elle expliquait d’ailleurs avoir toujours « soupçonné Mégret de vouloir devenir l’UDF du RPR », précisant que cet objectif était « très éloigné » du sien. Leur stratégie politique concordait malgré tout sur un point : contribuer à l’explosion de la droite pour voir le FN s’imposer comme le parti principal. Dans ce cas, il aurait établi des accords électoraux, des alliances locales avec les partis de droite sur un programme minimum commun imposé par le parti lepéniste. En début d’année 2017, Marine Le Pen répétait : « L’union des droites est un fantasme réducteur. J’ai 48 ans et ça fait quarante ans que j’en entends parler. Le problème des gens qui défendent cette idée, c’est que la droite refuse de s’allier avec nous. Or, même sous les socialistes, il faut être deux pour se marier ! »
L’histoire ne s’est manifestement pas déroulée comme prévu. Le président de Les Patriotes et ses partisans s’en donnent aujourd'hui à cœur joie. Florian Philippot ne « pensait pas que les choses iraient si vite ». Selon lui, la « bouche Marine Le Pen nouvelle version » ne fait pas seulement « semblant ». La présidente du FN et son parti sont en train de « supplier » Les Républicains et Laurent Wauquiez « pour en devenir les supplétifs (...). Effectivement, ces deux-là peuvent se marier, ils pensent à peu près la même chose » continue-t-il. Quant à Bruno Mégret, il doit une nouvelle fois sourire.