Entre De Gaulle et le FN : la guerre d'Algérie

Ce 9 novembre, Florian Philippot se rend, comme il le fait depuis 2012, à Colombey-les-Deux-Églises. En compagnie d’autres politiques, le président de Les Patriotes vient saluer la mémoire du général de Gaulle (décédé le 9 novembre 1970) et fleurir sa tombe. Quelques semaines plus tôt, l’ancien vice-président du FN annonçait qu’il quittait le parti lepéniste. Le 21 septembre, sur le plateau des 4 Vérités (France 2), il porte à sa boutonnière une croix de Lorraine, l’emblème des gaullistes et de la France libre ; un logo - entouré de la flamme FN – choisit dans le cadre de sa campagne municipale à Forbach en 2014.

Croix

Pour lui et pendant ses années frontistes, les choses sont claires et dites : le FN est un parti « gaulliste ». L'émoi provoqué par ce positionnement répété et assumé est plus que palpable au FN. Il est révélateur de ses lignes de fractures. Marine Le Pen réagit à plusieurs reprises. La présidente du FN évoque une « initiative personnelle » de Florian Philippot. Elle s’affirme « gaullienne » et non gaulliste. Elle peut aussi s’adresser directement à ses « amis pieds-noirs et harkis » (tout en envoyant des signes aux historiques de son parti) dont elle dit partager la « souffrance » et de préciser : « il y a entre De Gaulle et moi la guerre d'Algérie ».

Comme celle de la Seconde Guerre mondiale, la guerre d’Algérie ou, plutôt, l’Algérie française, figure dans les références historiques et politiques du Front national. L’histoire du FN de Jean-Marie Le Pen (1972-2011) l’expose clairement ; celle de sa fille également. Le parti de Marine Le Pen continue de se présenter et de se voir comme le gardien de l’Algérie d’avant 1962.

« Refuser de soutenir les bradeurs de l’Algérie »

Dès les années 1970, le FN se réfère à ce conflit. Jean-Marie Le Pen déclare, par exemple, pendant un meeting à la Mutualité dans le cadre de la campagne des municipales de 1978 : « Lorsque les Français sont revenus d’Algérie, les tueurs du FLN se sont accrochés à leurs pas. Ils font partie de cette masse de travailleurs immigrés qui prennent les emplois de nos jeunes. (...) Je vous invite à voter Front national au premier tour et refuser de soutenir les bradeurs de l’Algérie et les dirigeants de notre pays qui se dirigent vers un régime socialiste ». L’affiche « Les Français d’abord “1 000 000 de chômeurs c’est 1 000 000 d’immigrés en trop” Le 12 mars 1978 Votez pour les défenseurs des travailleurs français Front national » surplombe l’estrade. Quelques jours plus tard, lors d’un rassemblement à Vendargues (Hérault), l’ancien député poujadiste donne deux consignes : interdire l’entrée en masse des étrangers et « faire des enfants avant que des étrangers ne viennent les faire dans les ventres de nos femmes ». Et de poursuivre : « Il y a actuellement cinq millions d’étrangers en France et les Algériens entre autres représentent les effectifs de mille cinq cents bataillons. Ils sont encadrés par un parti politique étranger, le FLN, camouflé sous le signe de l’Amicale des Algériens en France. Et cela représente un réel danger en cas de conflit. Sur le plan social on en arrive en France à cette situation paradoxale où le travailleur étranger est mieux traité qu’un travailleur français. Et peut-être qu’un jour, il se verra en France des réserves écologistes où seront parqués les vrais Français et les visiteurs étrangers diront entre eux : ‘’Regardez, c’est comme ça qu’ils étaient les Gaulois’’ ». Le Front national n’en est qu’aux toutes premières années de son histoire. L’ancien engagé dans le premier régiment étranger de parachutistes (REP) en Algérie et, plus tard, au sein d’organisations défendant l’Algérie française (le Front national combattant – FNC - et le Front national pour l’Algérie française – FNAF) est devenu président du FN. Il axe sa propagande sur ce qui va devenir la thématique phare de son parti - la lutte contre l’immigration – en choisissant un angle bien précis : opérer un parallèle entre les ennemis d’hier et ceux d’aujourd’hui. En quelque sorte, montrer que la guerre d’Algérie (1954-1962) est inachevée et qu’elle se poursuit en cette fin des années 1970 sur le sol français.

Dans un premier temps, la perte des territoires algériens en 1962 fédère le FN dans la haine d’un des signataires des accords d’Évian, Charles de Gaulle, qualifié de « traite » et tenu pour le principal responsable de cette issue. L’antigaullisme guide le FN de Jean-Marie Le Pen dans ses combats à venir. En même temps, la question de l'héritage gaulliste est déjà l'objet de désaccords au sein de la formation d'extrême droite. Par exemple, aux élections municipales de mars 2001, le choix de placer le petit-fils du général, Charles de Gaulle, en tête de liste FN à Paris représente, pour les historiques un « affront supplémentaire ». Dans une lettre adressée au trésorier et conseiller FN de Paris Jean-Pierre Reveau (publiée dans Présent le 1er juillet 2000), François Brigneau fait part de son incompréhension quant à la nouvelle ligne de son parti. L’ancien milicien dit son effarement : « Il apporte la caution gaulliste et permet une captation d’héritage. (…) Ça me fait mal de vous voir marcher sur l’Hôtel de Ville derrière le petit-fils du ténébreux cocu des accords d’Évian. Je connais des morts qui doivent se retourner dans leur tombe. Il est vrai que chez nous les morts, ça n’a pas beaucoup d’importance. Ils ne votent pas... ».

« Combien de djihadistes infiltrés parmi la masse des migrants ? »

Marine Le Pen contredit et rompt avec la ligne paternelle sur un point capital : elle condamne le « régime collaborationniste de Vichy » et affirme que la légitimité était représentée par Charles de Gaulle à Londres. L'histoire qu'entend écrire le FN ambitionne de glorifier un passé et de rejeter une « repentance » considérée comme permanente. La députée du Pas-de-Calais préserve et exploite cet axe tout en se nourrissant du contexte national. Les attentats sont instrumentalisés par le parti lepéniste dans un objectif : en faire la suite et la revanche de la guerre d’Algérie tout en soulignant une sorte de continuité entre ce conflit et le temps présent. En d’autres termes, avance le FN, ne serions-nous pas en train de vivre actuellement la suite et la revanche de la guerre d’Algérie ?

Lors des cérémonies de commémoration officielle de la fin de la guerre d’Algérie, notamment à Hayange et à Beaucaire, les attitudes et propos des maires justifient le combat pour l’Algérie Française tout en niant et/ou minimisant la xénophobie de leur parti, le racisme anti-arabe, plus spécifiquement anti-algérien. Lors de la débaptisation de la « Rue du 19 mars 1962 Fin de la Guerre d'Algérie » à Beaucaire, le 19 mars 2015, Julien Sanchez explique vouloir « laver l’affront » des Français qui ont souffert là-bas, qui ont été victimes d’un « vrai crime contre l’humanité ». La rue du 19 Mars 1962 « peut être considérée comme une insulte pour tous ceux qui sont morts après. On a eu
 la rue d’Isly à Alger le 26 mars, mais aussi le massacre d’Oran ». Il faut « effacer ce choix-là » et « donner un nom qui rappellera la vraie histoire et qui ne blessera personne ». Le maire de Beaucaire entend vouloir « rétablir la vérité » sur cette partie de l’histoire de France. Il met en avant son histoire personnelle : fils et petit-fils de pieds-noirs, il dit n'avoir jamais oublié « ces moments ». Il explique ne pas comprendre que les « massacres » qui ont eu lieu après le 19 mars « ne soient pas reconnus ». Il poursuit ainsi : « vous avez encore des tas de rues du 19 mars et des harkis, des pieds-noirs et leurs descendants qui sont vraiment blessés quand ils passent devant. (…) J’ai vu des vieux harkis qui vous parlent, (…) qui pleurent quand ils vous racontent ce que c’était. Ils estiment qu’on ne reconnaît pas leur souffrance. C’est une souffrance réelle. Et je trouve que c’est une provocation de choisir ce nom de rue. Le 5 décembre est une date aussi. (…) Vous voyez la souffrance de ces gens et vous ne faîtes rien. Alors que c’est quoi débaptiser une rue ? C’est une délibération au Conseil municipal. Ça prend 10 minutes ». À l’issue de la cérémonie à laquelle les anciens combattants assistent, l’élu dépose une gerbe sur laquelle on peut lire ceci : « À nos héros tombés avant comme après le 19 mars 1962. Le maire et le conseil municipal ». La petite rue du quartier de la Moulinelle s’appelle aujourd’hui « rue du 5-Juillet-1962. Massacre d’Oran ». La nouvelle plaque a été posée le 27 novembre 2015, jour où la France rend un hommage national aux victimes des attentats du 13 novembre.

Dans une des ses tribunes publiée dans Le Figaro (20 avril 2016), Éric Zemmour l’affirme : la guerre d’Algérie « n’a jamais cessé » et de poursuivre : « On avait oublié. Occulté. Négligé. On n'en avait que pour la Seconde Guerre mondiale. L'Allemagne et Hitler. L'extermination des Juifs. On nous parlait du ‘’retour du refoulé’’. On se trompait de refoulé. Le vrai concernait la guerre d'Algérie et la décolonisation. (…) Alors, tout s'enchaîne de plus en plus vite. Les assassinats de Charlie et de l'Hyper Cacher de Vincennes, les massacres du Bataclan sonnent le retour des méthodes terroristes qui ont ensanglanté la bataille d'Alger. Mohamed Merah a assassiné des enfants juifs à Toulouse le 19 mars 2012 pour fêter dignement les accords d'Évian ». Le polémiste entend également souligner cette continuité historique, politique et opérationnelle entre cette guerre et celle que nous serions en train de vivre sur le sol français, réactivée par les attentats. Il n’y a pas qu’un enjeu électoral dans l’instrumentalisation de la guerre d’Algérie par certains, notamment par le FN. Cet usage politique s’intègre dans une vision globale de l’histoire qui insiste sur une perte d’identité française au profit des « arabes ». La politique d'« invasion-immigration », dénoncée par le FN, ne peut que déboucher sur une « tragédie nationale ». Une question posée sur un tract - lui aussi contemporain des attentats - résume bien l'instrumentalisation frontiste des contextes hexagonal et international : « Combien de djihadistes infiltrés parmi la masse des migrants ? »  La thématique de la guerre civile nourrit le souvenir de la guerre d’Algérie en insistant sur l’identification de la majorité des terroristes dans les attentats sur le sol français d'origine algérienne ou de nationalité algérienne.

Le quatre-vingt-dix-septième engagement de Marine Le Pen pour la présidentielle de 2017 affirme son ambition de « renforcer l’unité de la nation par la promotion du roman national et le refus des repentances d’État qui divisent ». Il est placé dans le cinquième chapitre - intitulé « Une France Fière » - du projet présidentiel et s’insère dans la thématique : « DÉFENDRE L’UNITÉ DE LA FRANCE ET SON IDENTITÉ NATIONALE ». Robert Ménard le dit autrement. Dans Vive l’Algérie française ! écrit avec Thierry Rolando (Mordicus, 2012), le maire de Béziers en a « assez de cette perpétuelle repentance. Alors, oui, vive l’Algérie française ! »