Cela fait six fois. Six années que Marine Le Pen choisit Brachay (Haute-Marne), symbole de la « France des oubliés », pour sa rentrée politique. Mais aujourd’hui, le contexte est différent. 2017 est passée par là : les législatives avec l'élection de huit députés mais, avant tout, la présidentielle considérée comme un échec. À Brachay comme ailleurs, le débat de l’entre-deux-tours reste dans tous les esprits.
La présidente du FN campe sur les fondamentaux du parti : dénonciation de l’immigration couplée au terrorisme et à l’islamisme radical. Derrière elle, une affiche bleu-blanc-rouge dévoile ce slogan : « En avant pour un Nouveau FRONT ». La question posée est de savoir s’il sera concrétisé dans les faits. Marine Le Pen paraît claire : elle annonce la refondation de son parti. « Cette nouvelle organisation » dit-elle à la tribune, « portera un nouveau nom dont nous aurons pu discuter ensemble lors de nos échanges et que vous aurez choisi ». Dans ce cadre, la présidente du FN se rendra dans différents départements entre septembre 2017 et février 2018. C’est la « tournée Marine » :
Une « grande consultation » auprès des adhérents et un congrès fixé en mars 2018 à Lille : à partir de là, les orientations frontistes seront clairement énoncées... et le nouveau nom devrait être annoncé. Créer une « nouvelle force politique qui n'aura pas le même nom » dixit Florian Philippot… À quoi ça sert ? Le FN ne serait pas le premier à tenter d’enclencher une énième dynamique pour les années à venir. Puis, à différentes étapes de son histoire, il a adopté une autre dénomination : PNUF, FN, Front d’opposition nationale pour l’Europe des patries, Rassemblement national, RBM. À d'autres moments, il l'a effacée de sa propagande. Par exemple, en 1988, le nom du FN et son logo sont absents des affiches de la campagne présidentielle… tout comme pendant celles de Marine Le Pen. Cette stratégie vise un double objectif : il est nécessaire de ratisser large, de brouiller la marque FN afin d’attirer une autre clientèle politique. Le changement de nom n’est pas symbolique. Assorti d’un nouveau logo, le parti lepéniste entendrait tourner une longue page historique, en ouvrir une autre et proposer une nouvelle image de sa formation politique en se défaisant définitivement de celle d’un parti lié à Jean-Marie Le Pen et de deux lettres – FN - assorties d’un logo (la flamme bleu, blanc, rouge) inspiré de la flamme du parti néofasciste italien, le Movimento sociale italiano (MSI).
Participer de plein droit au jeu politique et entamer un cycle électoral en s’appuyant sur ce nouveau nom. Le soir du 7 mai, Marine Le Pen l’envisage concrètement : « Ce second tour organise une recomposition politique de grande ampleur autour du clivage entre les patriotes et les mondialistes. (…) Le Front national, qui s’est engagé dans une stratégie d’alliance, doit lui aussi se renouveler afin d’être à la hauteur de cette opportunité historique et des attentes des Français exprimées lors de ce second tour. Je proposerai donc d’engager une transformation profonde de notre mouvement afin de constituer une nouvelle force politique que de nombreux Français appellent de leurs vœux et qui est plus que jamais nécessaire au redressement du pays. J’appelle tous les patriotes à nous rejoindre afin de participer au combat politique décisif qui commence dès ce soir. Plus que jamais, dans les mois qui viennent, la France aura besoin de vous ».
Le parti du peuple ?
Alors quelle dénomination ? Dès son accession à la présidence du Front national, Marine Le Pen s’engage à faire de la politique pour le peuple, se présente comme la porte-parole directe et fédératrice des peuples de droite et de gauche. Le slogan adopté pour sa seconde campagne présidentielle est « Au nom du peuple ». Au lendemain de l’élection présidentielle de 2007, Alain de Benoist écrivait : « L’avenir du FN dépendra de sa capacité à comprendre que son “électorat naturel” n’est pas le peuple de droite, mais le peuple d’en bas. L’alternative à laquelle il se trouve confronté de manière aiguë est simple : vouloir incarner la “droite de la droite” ou se radicaliser dans la défense des couches populaires pour représenter le peuple de France. » Un peu plus de six ans plus tard, le théoricien français de la Nouvelle Droite ajoute : « Il reste au FN à apprendre comment devenir une force de transformation sociale dans laquelle puissent se reconnaître des couches populaires au statut social et professionnel précaire et au capital culturel inexistant, pour ne rien dire de ceux qui ne votent plus. Le FN n’a de chances de l’emporter que s’il devient le parti du peuple. C’est même le nom que j’aimerais lui voir porter. »
Jean-Marie Le Pen reste « hostile au changement de nom » du parti qu’il a co-fondé en 1972. Sur ce point précis, sa fille romprait avec la conception de son père et de celle des historiques du FN. Bruno Mégret était persuadé que le Front national devait préserver son identité originelle et ses fondamentaux politiques. L'ancien numéro deux du FN s’est toujours défendu de reproduire la stratégie politique italienne des années 1990. En opérant la mutation du MSI – devenu l’Alliance nationale (Alleanza nazionale) en janvier 1995 au congrès de Fiuggi – Bruno Mégret considère que Gianfranco Fini « a renoncé à son programme et a totalement affadi son mouvement pour le faire passer sous les fourches Caudines de l’établissement ». L’homme politique italien a « trahi ses électeurs en tournant le dos à ce qui faisait la spécificité du MSI, sa particularité », continue l’ancien délégué général du FN. Avec cette nouvelle dénomination, le MSI entendait rompre avec le fascisme mussolinien et s’afficher en grand parti de rassemblement de la droite italienne. Comme l’a fait le FN de Marine Le Pen, l’Alliance nationale a renié certains de ses fondamentaux, dont l’antisémitisme. Le parti italien disparaît en 2009.
À Brachay, Marine Le Pen prévient aussi : « dans les grands combats, les petites carrières personnelles ne comptent pas (…) La première victoire est sur nous-mêmes ». Dans l'immédiat, le FN doit gérer l'aspiration des siens. Après l'exclusion de Sophie Montel, la liste pourrait s'allonger. Certains pourraient créer leur propre formation. On entend d'ailleurs que Florian Philippot serait « sur le départ ». Une nouvelle fois, le parti lepéniste expose une facette récurrente de son histoire : celles des hommes et femmes du Front national, des militants, adhérents et élus qui œuvrent pour leur mouvement, déchiré par des rivalités internes et des ambitions concurrentes.