Pour le FN, "Simone veille (toujours) sur la dénatalité" ?

C’est un tweet d’un conseiller régional du Front national dans les Pays de la Loire. Samuel Potier laisse, dans un premier temps, ces quelques mots suite à l’annonce du décès de Simone Veil :

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Ils replongent sa formation politique dans une histoire antérieure et montre combien Simone Veil a été une cible pour le FN. La lutte contre l’avortement fait partie des premiers combats du parti lepéniste. Elle apparaît dès le début des années 1970. Dans Défendre les Français, le parti de Jean-Marie Le Pen désapprouve l’avortement « légal libre » considéré comme une « agression physiologique qui (…) laisse le plus souvent des séquelles morales ou corporelles ». Les Français, peut-on lire, « doivent être responsables de leur vie personnelle ».

Le contexte est porteur. La loi Veil relative à l’interruption volontaire de grossesse (IVG) - qui dépénalise l’avortement en autorisant l’IVG sous certaines conditions - est promulguée le 17 janvier 1975. Depuis cette date, le Front national se prévaut d’être le « seul » parti à s’opposer « à la propagande avorteuse et antinataliste » et laisse libre cours à certains slogans et affiches visant explicitement la femme politique :

Simone Veil

À l’occasion de la campagne présidentielle de 1981, les frontistes reçoivent des consignes précises pour leur prise de contact avec les élus. Leurs demandes de parrainage s’orientent, en priorité, vers les maires connus pour leur opposition à la libéralisation de l’avortement. En 1986, Michel de Rostolan, député FN-RN (Front national-Rassemblement national) de l’Essonne, dépose plusieurs « propositions de loi favorables à la vie et visant à supprimer le remboursement de l’avortement ».

La natalité, « gage de survie de la communauté nationale »

Comment rétablir et défendre la « cellule familiale », base d’une « société libre et stable », considérée comme un des piliers de l’État national ? Une seule solution : abroger la loi sur l’IVG en encourageant la fécondité française - et non la « fécondité étrangère » - par le lancement d’une grande politique familiale. De cette façon, la « survie démographique du peuple français » serait assurée. Pour le FN, se battre contre l’avortement équivaut à lutter contre l’immigration. Les deux thèmes sont étroitement corrélés. Parce que le taux de natalité des femmes étrangères dépasse celui des femmes françaises, on assisterait à un « remplacement progressif des Français décimés par des hordes d’immigrés ». La logique frontiste suit : un « enfant français de moins, un immigré de plus ! »

C’est aussi une façon d’introduire d’autres luttes politiques. Le FN prend prétexte de la condamnation de l’IVG pour diffuser le négationnisme. Il n’y a pas, seulement, les nombreuses attaques ad hominem contre la Ministre de la santé, mais aussi à l’encontre de l’ancienne déportée Simone Veil, surnommée « Mme Avortement ». Les mots ne sont pas choisis au hasard. La sémantique utilisée renvoie à l’histoire de la Shoah et à la thématique du complot juif. La loi sur l’IVG, souligne le FN, n’a pas été uniquement mise en œuvre par des « forces occultes ». Elle doit être perçue comme une « bataille dans la guerre d’extermination menée contre le peuple français », comme une « politique de génocide visant à assassiner notre peuple pour le supplanter par des masses d’allogènes hébétés ». Suite au scandale du « jeu de mots Durafour-crématoire » (2 septembre 1988), le bureau politique ne se contente pas de soutenir le président du FN. Il se réapproprie cette sémantique et affirme attirer « l’attention de Français, sensibles à juste titre à l’horreur des fours crématoires dans l’univers concentrationnaire, sur le fait que de tels fours sont installés dans les hôpitaux français et qu’y sont brûlés chaque jour les corps de centaines d’enfants arrachés vivant du sein de leur mère en vertu des lois Veil et Roudy ».

Pendant les années de présidence de Jean-Marie Le Pen, le vote FN reste majoritairement masculin. La violence physique et verbale incarnées par l’ancien député poujadiste et le programme du parti qui nie ouvertement les principes élémentaires du féminisme restent les principaux obstacles à la captation de l’électorat féminin. Ce Front national assigne à la femme non seulement un rôle procréateur mais aussi celle de mère invitée à garder le foyer. À partir des années 2000, le FN envisage de revenir sur l’abrogation de la loi Veil par référendum. Le Front national, issu du Congrès de Tours, ne suscite plus la même réticence chez les femmes. Contrairement à son père, la présidente du FN serait parvenue à séduire l’électorat féminin en proposant une image de femme « moderne », pourquoi pas féministe, au parler franc mais sans trop d’outrances.

Aujourd’hui, ils sont minoritaires à se prononcer ouvertement pour l’abrogation de la loi Veil. Bruno Gollnisch est un des rares à camper sur sa position : l’avortement est une « culture de la mort ». Le renouvellement générationnel au sein du parti (et le reflux du courant traditionaliste), l’évolution sociétale mais aussi les enjeux politiques inhérents à cette position (ne pas se couper du vote catholique sachant que le vote FN évolue chez les catholiques pratiquants réguliers et non pratiquants) font que la formation lepéniste aborde cette question avec prudence tout en campant sur une vision conservatrice de la femme. Officiellement, le FN converge sur cette question. Dans les textes (et communiqués), il ne dit plus ouvertement qu'il est contre. Mais à y regarder de plus près, ce n’est pas si simple. La formation lepéniste aborde cette question avec prudence et, pourquoi pas, par d'autres biais... notamment en s'attaquant à un des symboles de la liberté de la femme qui fait du droit à l’avortement une de ses priorités. En novembre 2015, Marion Maréchal-Le Pen exprime son intention de « supprimer les subventions aux associations politisées, dont les plannings familiaux » qui, selon elle, « véhiculent une banalisation de l'avortement ». L'ancienne députée est loin d'être la seule sur cette position.

Aujourd'hui, le communiqué de presse de Marine Le Pen revient sur « une femme qui aura incontestablement marqué de son empreinte la vie politique française ». La présidente du FN « salue enfin le combat pour la Mémoire qui fut celui de toute sa vie ». Une dernière chose : Samuel Potier a effacé rapidement son tweet pour poster une réaction plus « officielle » : « L'avortement, un drame, une tragédie humaine. Une femme complexe s'est éteinte. Qu'elle repose en paix ».