Au FN, la "priorité des priorités", c’est quoi ?

Affiche FN fin des années 1980

C’est une « lettre ouverte aux candidats du Front national ». Elle est signée Jean-Yves Le Gallou et pose cette question : « Quelle est, pour vous – en tant que candidat du FN aujourd’hui, député éventuellement demain, et cadre du FN participant à ses instances démocratiques -, la priorité n° 1 : l’arrêt de toute immigration nouvelle ou la sortie de l’euro ? À question simple et binaire, réponse simple et binaire. Les électeurs attachés à l’identité française y ont droit ». L’ancien secrétaire général du Club de l’Horloge et membre du Parti républicain au début des années 1980 connaît bien le FN. Il y est entré en 1985 pour intégrer rapidement le Comité central. Président du groupe FN au conseil régional d’Île-de-France (1986-1999) et député européen (1994-1999), il est un des artisans de la scission mégrétiste.

Revenir aux fondamentaux

À quelques jours des législatives, Jean-Yves Le Gallou revient sur cette ligne de fracture qui prend de plus en plus de place sur le terrain frontiste. Le problème est qu’elle pourrait devenir infranchissable et porter fortement préjudice au Front national. À travers ses mots, la critique à l'égard du numéro deux du FN est transparente. Florian Philippot et son positionnement « ni de droite ni de gauche », fervent partisan d’une « monnaie nationale » et revendiquant un « patriotisme économique », ne cesse de le répéter : si le parti renonce à l’euro, il quitte le FN. La question posée par Jean-Yves Le Gallou en sous-tend deux autres : le Front national ne prend-il pas le chemin d'une autre scission ? Surtout, ne se dirige-t-il pas vers un nouvel échec électoral s’il poursuit dans cette voie ?

En somme, il est urgent de se ré-approprier au plus vite les thèmes politiques porteurs et spécifiques au FN. Depuis plus de quatre décennies, le parti lepéniste se présente comme la seule formation « à combattre l’immigration sauvage et à mettre les “Français d’abord’’ ». La rhétorique frontiste s’est adaptée, s’est réorientée tout en préservant ses principaux thèmes de mobilisation dont celui de la lutte contre l’immigration. L’islam est l’ennemi déclaré car considéré comme inassimilable dans tous les sens du terme : politiquement, culturellement et religieusement. Pour Jean-Yves Le Gallou, l’islam n’est pas seulement une religion, c’est aussi un « ensemble de pratiques sociales qui tendent de s’imposer à l’ensemble de la société et (...) à remettre en cause une partie de l’identité française ». L’idéologue de la préférence nationale considère que l’islam rend « visibles » les immigrés et, de ce fait, rend visible l’immigration. « Vous vous êtes porté(e) candidat(e) ''pour défendre la France avec Marine''. Le Front national a longtemps porté avec courage ses fondamentaux : l’arrêt de l’immigration, la mise en œuvre de la préférence nationale, le primat du droit de la filiation dans le Code de la nationalité, une politique familiale généreuse et encourageant la vie, et plus globalement la défense de l’identité civilisationnelle de la France. (…) Curieusement, c’est le moment que semble avoir choisi la direction du FN pour placer ces questions identitaires (gênantes ? malséantes médiatiquement ?) au second plan » écrit aujourd'hui Jean-Yves Le Gallou.

Ce n'est pas la première fois que le parti est confronté à ce type de problème. Par exemple, suite à la présidentielle « ratée » de 2007, plusieurs du FN critiquent la stratégie lepéniste, plus précisément celle de Marine Le Pen alors directrice de campagne de son père. La condamnation porte sur ce qui est considéré comme une normalisation idéologique. Jean-Yves Le Gallou dénonce, notamment, la « gauchisation du discours, la pasteurisation des thèmes ». D’autres reviennent sur le « centralisme non démocratique, l’ambiance de courtisanerie, l’exclusion de ceux qui font preuve d’un esprit un tant soit peu critique ou rebelle ». Bernard Antony, lui, souligne un autre aspect : selon l'ancien chef de file du courant catholique-traditionaliste (démissionnaire du Bureau politique à l'été 2002), Jean-Marie Le Pen n’a pas fait le poids ayant « trop accepté les idées des autres ! » Le FN doit reprendre la « maîtrise du terrain politique sur ses fondamentaux », confirme de son côté Carl Lang... tandis qu'une nouvelle scission ne tarde pas à se concrétiser.

Identité : un "gros mot" ?

« Plus que jamais défendre la France » est le slogan choisi par le FN pour ces élections de juin. L’affiche de Marine Le Pen, candidate dans la onzième circonscription du Pas-de-Calais, est un peu plus précise : « Toujours là pour vous défendre ! Pour une opposition ferme à Macron ! » Dans la famille de l'extrême droite française, d'autres slogans sont davantage explicites. Les candidats du Siel adoptent : « La droite des valeurs et des convictions. La France agonise, patriotes, sauvons-la ! » Ceux issus de Civitas ont choisi « Défendons nos familles, nos traditions, nos libertés ». Le Parti de la France de Carl Lang s'affiche avec  « Pas d'islamisation chez nous ! Défendons nos familles, nos traditions, nos libertés ». Quant à Jean-Marie Le Pen et ses candidats des Comités Jeanne, ils s’engagent dans la campagne avec deux mots : « Immigration : assez ! ».

Au FN, on explique qu'un « débat » s’annonce. Marine Le Pen évoque même une « transformation » à venir. Pour l’instant, la temporalité est vaste… et la déception est grande envers le vice-président et la présidente. Nicolas Bay affirme qu'il « n’y a pas de sujet tabou au Front national ». Le secrétaire général du FN revient précisément sur la sortie de l’euro considérant que « beaucoup de Français (...) n’ont pas été convaincus » par les « propositions »  du FN « dans ce domaine, il faudra en tenir compte ».

Dans une de ses tribunes du Figaro paru peu après le second tour de la présidentielle, Éric Zemmour revient sur la campagne de Marine Le Pen. « On peut se demander aujourd'hui si ce n'est pas la candidate qui plombe son camp et les idées qu'elle est censée défendre » explique-t-il tout en continuant ainsi : «  C'est au contraire parce que les intuitions de son père sur l'immigration se sont avérées pertinentes que la fille engrange un électorat qu'elle ne mérite pas. A l'époque, on le sommait de se taire au nom de la morale. Ce n'est plus nécessaire : à part quelques discours bien troussés, Marine Le Pen s'autocensure d'elle-même ; jamais, dans un débat télévisé, elle n'a développé son programme en matière d'immigration. Jamais, ou presque, elle n'a évoqué la suppression du regroupement familial, du droit du sol, de la double nationalité, l'interdiction des tenues religieuses et islamiques dans la rue, etc. Et quand elle en parlait, c'était en coup de vent. Comme si elle avait honte de son père. C'était pourtant ce que son électorat attendait. C'était pour cela qu'il l'avait rejointe. Et c'était pour cela que d'autres auraient pu venir. D'autres qui avaient voté Fillon hier, ou Sarkozy avant-hier. Mais Marine Le Pen voulait parler d'économie, d'Europe et d'euro. L'identité était pour elle un gros mot ; la souveraineté était son graal. Elle s'était mis dans la tête - ou plutôt Florian Philippot lui avait mis dans la tête - qu'il fallait réussir le rassemblement du camp du non aux référendums de 1992 et de 2005 ».

Éric Zemmour fait partie de ces personnes avec notamment Patrick Buisson, Philippe de Villiers, Robert Ménard ou, encore, Marion Maréchal Le Pen qui aspirent à la création d’un « grand parti conservateur » basée, entre autres, sur une union des droites située entre le FN et Les Républicains. En février dernier, la députée du Vaucluse revenait justement sur « l’enjeu principal » de la campagne présidentielle, à savoir parvenir « à briser l’isolement et à ramener (au FN) un certain nombre de personnalités de droite ». La petite fille de Jean-Marie Le Pen s'en est allée... En cette veille d'élections législatives, le constat est clair : pour beaucoup, Marine Le Pen a échoué à la présidentielle. Elle serait parvenue à empiéter sur un autre électorat, dont celui des Républicains, par des propos axés sur une ligne identitaire sans, notamment, aborder l'euro. En d’autres termes, précise dans sa lettre ouverte Jean-Yves Le Gallou, en « politique, on ne peut pas tout faire en même temps. Il faut choisir. Hiérarchiser. Prioriser ».