1986 : le FN entre à l'Assemblée nationale

Affiche FN législatives 1986

Le dépôt des listes est clôt. 577 candidats du Front national-Rassemblement bleu marine entrent dans la bataille des législatives. L’objectif est évident : obtenir au minimum un groupe de 15 députés et constituer un groupe à l'Assemblée nationale. Depuis qu'elle préside le FN, Marine Le Pen affiche des résultats supérieurs à ceux de son père. Aux dernières élections législatives du temps de Jean-Marie Le Pen - celles de 2007 - aucun député n'a été élu. Cinq ans plus tard, Marion Maréchal-Le Pen et Gilbert Collard accèdent à la députation.

Dans l’histoire du FN, les élections législatives de 1986 marquent une rupture. Le 16 mars 1986, avec 9,7% des voix, le FN obtient 35 députés. Un facteur essentiel joue : l’établissement du scrutin proportionnel à un tour (le scrutin majoritaire à deux tours limitant le nombre de sièges gagnables par la formation lepéniste). Ceci souligné, à trente ans d'intervalle, certaines passerelles entre les deux histoires peuvent s'établir : dynamique du parti, stratégie d'ouverture, nouveaux candidats, autre label, etc. Pendant ces années quatre-vingt, le FN s’apparente à une « redoutable machine politique et militante. Les plus anciens s’en souviennent : entre 1984 et 1988, tout semble possible. Sans doute car tout est encore possible » se souvient l'ancien du FN et actuel maire d'Orange Jacques Bompard.

Le Front national table sur la présence de ses représentants dans tous les départements. Pour les trouver, il se dit prêt, « tout en préservant son identité, à ouvrir ses listes à un certain nombre de candidats “divers droite, socio-professionnels et cercles d’opinion” représentatifs du pays réel et soucieux de défendre la France et les Français d’abord ». Cette stratégie, inimaginable dans ses premières années d’existence, pose problème entre la base et les nouveaux encartés. Elle met au jour les oppositions entre les parlementaires - qui considèrent que le FN sort de sa marginalité politique à partir de leur accès à la députation - et ceux de la première génération frontiste qui s’attachent à leur statut de fondateurs.

Jean-Marie Le Pen « regroupe les meilleurs du Front bien sûr mais c’est insuffisant pour être un groupe de grande valeur ». Il prend donc contact avec un « certain nombre de gens » repérés dans « l’environnement national, dans d’autres formations sociales » et les « recrute », selon ses propres termes, sous l’étiquette Rassemblement national (RN). Le président du FN se lance dans une phase de séduction qu’il adapte à chacun de ses interlocuteurs parmi lesquels Causa internationale. Un « accord direct de coopération » est passé entre Moon et le FN qui inclut une « aide logistique nationale et internationale » et des « arrangements financiers importants » devant accompagner le candidat Le Pen au moins jusqu’au deuxième tour de l’élection présidentielle. En contrepartie, le FN s’engage à présenter en position éligible, sur ses listes, un membre de Causa, Pierre Ceyrac.

À partir de 1985, plusieurs notables intègrent le FN en vue des législatives. Quelques-uns sont universitaires. Ils se nomment Bruno Gollnisch, Jean-Claude Martinez, Bruno Chauvierre. D’autres sont médecin (François Bachelot), avocat (Jacques Peyrat) ou haut fonctionnaire comme Jean-Yves Le Gallou et Bruno Mégret. Ce dernier vient de rallier le FN par le biais de ses Comités d’action républicaine (CAR). Les deux structures ont, certes, des objectifs politiques en commun. Mais Bruno Mégret sait que son groupe politique va tout droit à l’échec. Son idée initiale était de fonder une « droite décomplexée, un nouveau parti politique ayant pour objectif de mobiliser tous ceux qui sont déçus par les partis traditionnels de droite et qui veulent clairement affirmer leurs valeurs ».

Le Front national doit attirer ces hommes nouveaux, capables de casser son image. Jean-Marie Le Pen s’y emploie et, en parallèle, entend préserver sa vieille garde. Dans son discours de rentrée politique, c’est à elle qu’il s’adresse lorsqu’il dénonce, notamment, un lobby judéo-médiatique : « Je dédie votre accueil à Jean-François Kahn, à Jean Daniel, à Yvan Levaï, à Elkabbach, à tous les menteurs de la presse de ce pays. Ces gens-là sont la honte de la profession ». Le président du FN continue de jongler avec ce qui constitue une des essences même de son parti, sa diversité doctrinale. La mutation de la rhétorique frontiste ne s’opère pas. Le discours de la « droite nationale » à prétentions républicaines et modernistes ne parvient pas à supplanter les codes lepénistes, le langage traditionnel du Front national.

Les listes dans les différents départements sont bouclées sous le nom de « Listes du Rassemblement national présentées par le Front national ». La stratégie d’ouverture frontiste a fonctionné. Responsables du FN mais aussi du CNI, SNPMI, CIDUNATI, CODAR-CAR, anciens du RPR et de l’UDF et des socio-professionnels s’y retrouvent. Le label RN a séduit par les thématiques du FN et les perspectives de carrière qu’il ouvre. Les anciens du parti sont amers. Ils considèrent que le secrétaire général du FN, Jean-Pierre Stirbois, a distribué « généreusement les investitures à des “crypto-gaullistes, sionistes, francs- maçons et libéraux” ». 

35 députés à l’Assemblée nationale ; une « étape de grande importance » souligne Jean-Marie Le Pen.

AN

La droite obtient 285 sièges sur 577. Elle n’a donc pas à envisager une alliance avec le FN-RN. C’est le temps de la cohabitation : un président socialiste, François Mitterrand, et un gouvernement dont le Premier ministre se nomme Jacques Chirac et le ministre de l’Intérieur Charles Pasqua. Pendant cette période, la droite muscle son discours sur l’immigration. Ses députés déposent un projet de réforme du code de la nationalité au contenu « tout à fait identique » au programme du FN, selon Jean-Yves Le Gallou. C’est le « droit du sang, le droit de la filiation, complété par la naturalisation en cas d’assimilation ». Pour ce dernier, il existe bien un fossé idéologique entre le RPR et le PS, alors que pour les droites, sécurité et intégration vont de pair ; insécurité et lutte contre l’immigration également.

« En revenant à l’Assemblée nationale après 25 ans d’absence, une odeur de décadence m’a pris à la gorge. Elle était dans un triste état. Je me fais l’effet d’Hercule dans les écuries d’Augias », clame Jean-Marie Le Pen. Dans l’hémicycle, la députation frontiste qu’il mène se distingue par une opposition bruyante. Le FN refuse d’accorder le vote de confiance au gouvernement Chirac (9 avril). En désaccord, Bruno Chauvierre (député et conseiller général de Lille-Sud-Ouest) démissionne, suivi rapidement par Yvon Briant (qui abandonne son poste de vice-président du groupe parlementaire). Leur départ et le refus de voter la confiance au gouvernement Chirac déstabilisent des électeurs FN, avant tout poussés par leur rejet des politiques socialiste et communiste. Ils voulaient « laisser une chance » à Jacques Chirac, explique alors un des cadres du parti. Au printemps 1986, de nombreux adhérents retournent leurs cartes au FN.

Entre 1986 et 1988, le Front national exerce son action parlementaire, isolé des autres élus. Il dépose 63 propositions de loi et plusieurs amendements. Les mesures proposées reprennent le principe phare du FN, celui de la préférence nationale. Elles défendent, dans leur globalité, la priorité des Français sur les étrangers, que ce soit pour les accès aux HLM, pour les prestations familiales, pour les allocations vieillesse, etc. Les premières propositions de loi sont emblématiques : le 25 avril, les députés FN-RN proposent de créer une priorité d’emploi en faveur des Français par rapport aux ressortissants étrangers de la Communauté européenne. Le 28 mai, ils demandent que l’avortement cesse d’être remboursé par la Sécurité sociale et, deux jours plus tard, se font les porte-parole du rétablissement de la peine de mort.

Au sein du FN, on critique ces hommes qui, en se faisant élire sous l’étiquette RN, auraient non seulement trahi la base militante du parti et l’électorat frontiste mais aussi pris la place des militants de la première heure, « surpris de constater que si l’on voulait bien d’eux comme colleurs d’affiches ou pour assurer la protection rapprochée de ces messieurs, on ne voulait surtout pas de leurs idées ». Que représentent ces élus, dont certains n’ont même par leur carte du parti ? Sur quels fondements repose leur légitimité politique, sachant que la majorité d’entre eux n’a jamais été candidate à d’autres élections avant les législatives ? Surtout, comment faire accepter leur attitude à ces militants de la première heure qui dénoncent ces « nouveaux messieurs » qui s’appliquent à « “prendre leurs distances” vis-à-vis de la piétaille militante, à “cultiver leur différence” dès le lendemain de leur élection ! ». Certains rappellent l’ouverture tentée en 1965 par Jean-Louis Tixier-Vignancour qui, « de “candidat national” était devenu “candidat national et libéral”, sans entamer la “clientèle libérale” mais ayant vivement déçu la “clientèle nationaliste” ». Une dérive regrettée au temps des comités Tixier-Vignancour par Jean-Marie Le Pen et certains du FN de ces années 1980.

Un peu plus de trois décennies plus tard, le FN aborde les législatives avec le slogan « Plus que jamais défendre la France ». Certes, Marine Le Pen affiche un résultat inédit dans l'histoire des présidentielles de son parti (près de 34% des voix représentant plus de 10,6 millions d'électeurs). En même temps, le FN sort affaibli de l'épisode présidentiel :  une présidente critiquée notamment pour son débat raté du 3 mai, des résultats de second tour malgré tout décevants, le départ de Marion Maréchal-Le Pen, le lancement de l'association Les Patriotes par Florian Philippot, la question de la sortie de l'euro, etc. Les législatives ne représentent pas seulement un enjeu sur le plan électoral, politique et financier. Ces élections sont un test pour le parti et pour sa présidente qui se présente dans la onzième circonscription du Pas-de-Calais. La reconquête de Marine Le Pen passe, entre autres, par ce territoire. Comme si l'histoire du FN restait, en partie, suspendue... en attendant les débats de fond. Le FN s'est engagé à les mener après les élections de juin. Ce sera le « chantier des prochains mois » annonce Nicolas Bay. La transformation du FN peut, selon le secrétaire général, prendre plusieurs formes. Passer, par exemple, par « un changement de nom (...) peut être un changement d'organisation pour élargir. Une modification de fonctionnement du mouvement pour être plus attractif ».