Le FN va-t-il faire tomber les murs ?

Affiche FN années 1990.

Ce samedi 15 avril, Marine Le Pen se trouve en meeting à Perpignan. Son discours est somme toute assez classique. Il s’appuie sur les fondamentaux frontistes… tout en ciblant ses meilleurs ennemis à savoir Emmanuel Macron et François Fillon. Avant elle, Louis Aliot, Julien Sanchez, Gilbert Collard et Robert Ménard s'expriment à la tribune. Le maire de Béziers inaugure, en quelque sorte, cette soirée avec ce message : « À tous ceux qui se reconnaissent dans ce très beau mot : droite. Rejoignez-nous, ne vous laissez plus dicter vos choix par ceux qui vous ont toujours trahis ! ».

Fin mai, à l'occasion du Rassemblement des Journées de Béziers, Robert Ménard revenait justement sur le détonateur de son initiative : « Je suis las de voir les droites d’accord sur l’essentiel, sur l’urgent, et d’abord l’identité, et être incapables de s’unir face à la gauche. (…) Mais, à situation exceptionnelle, tentative exceptionnelle. Face à la marée migratoire, personne n’a le droit de s’offrir le luxe d’attendre. (…) Je ne veux pas appartenir au camp des coupables, de ceux dont on dira : il n’a rien fait pour empêcher ça ». Il poursuivait avec ces quelques mots : « Les électeurs votent FN pour l’identité, contre l’invasion migratoire, et rien d’autre ! »

Le maire de Béziers fait partie de ces personnes avec notamment Patrick Buisson, Philippe de Villiers, Éric Zemmour ou, encore, Jean-Frédéric Poisson et Marion Maréchal Le Pen qui aspirent à la création d’un « grand parti conservateur » basée, entre autres, sur une union des droites. Pas n'importe lesquelles ; plutôt cette droite hors les murs, celle située entre le FN et Les républicains. « La condition de la victoire de Marine Le Pen sera l’alliance du peuple de droite au sens large, des classes populaires au sens large, avec une partie de la droite conservatrice incarnée notamment par ce que l’on qualifie de droite hors-les-murs et de personnalités comme Philippe de Villiers. L’enjeu principal de cette campagne est de réussir précisément à briser l’isolement et à ramener à nous un certain nombre de personnalités de droite », affirmait Marion Maréchal-Le Pen, sur le site Boulevard Voltaire en février dernier.

Au FN, la ligne majoritaire s'affiche contre cette idée… mais cette position ne serait-elle pas en train de se fissurer ? Justement, à la sortie du meeting de Perpignan, Nicolas Bay souligne un fait inhérent aux résultats du premier tour de la présidentielle. Si le FN se retrouve au second tour face à Emmanuel Macron, explique le secrétaire général du parti (et ancien mégrétiste), le FN « tendra la main à tous ceux qui ne voudront pas en reprendre pour cinq ans de hollandisme, et ils sont nombreux ». L’union des droites s’annoncerait donc envisageable et opératoire dans la stratégie globale de l’opposition, à savoir abattre un ennemi commun : la gauche.

C’est une vieille histoire : celle d’un balancement quasi-perpétuel. À des moments précis, des hommes politiques de droite aspirent ouvertement à des rapprochements avec le parti lepéniste et/ou à une union des droites françaises. Depuis l’émergence électorale du FN au début des années 1980, des représentants de cette famille politique s’inscrivent en défense de certaines thématiques frontistes. Sur des points essentiels, les deux camps se livrent même à une surenchère. La notion d’identité nationale imprègne le débat politique pendant la campagne présidentielle et le quinquennat de Nicolas Sarkozy (2007-2012). La droite, par l’entremise de son leader, aspire à étouffer le FN et le légitime en s’installant sur son terrain. L’objectif de Nicolas Sarkozy est clair : « séduire les électeurs du Front national ». Nombre de personnes comme François d’Orcival, éditorialiste à Valeurs Actuelles, considèrent que Nicolas Sarkozy « a libéré la parole de la droite qui était comprimée par des tabous, des non-dits, des restrictions mentales ». Si la contamination politique ne date pas de 2007, c’est à cette époque qu’elle commence à changer de nature. Les rapports s’inversent sur un aspect essentiel : la dépendance politique. Pour l’élection de 2007, Nicolas Sarkozy s’empare des votes FN. Aujourd’hui, la situation est différente. Avec près de 30% des voix aux élections régionales, le FN n’a pas seulement pris la place de leader. C’est à son tour d’empiéter, notamment, sur l’électorat de la droite républicaine. Le parti lepéniste considère entrer dans sa phase de normalisation par l’attitude de celui qu’il voit comme son adversaire mais aussi par une légitimation politique que la droite est en train de lui apporter. Non seulement, le Front national préserve son identité au sein des droites françaises et parvient à s’imposer politiquement. Mais, en plus, les emprunts à la sémantique frontiste sont formulés, régulièrement, à voix haute par ses adversaires politiques. La dénonciation du « racisme anti-français » par François Fillon à son meeting de Caen, le 16 mars dernier, en est un exemple parmi tant d’autres.

Marine Le Pen s’est toujours positionnée contre tout accord et contre une quelconque alliance avec la droite. Son ambition ? Faire du FN une grande formation politique installée sur les décombres de la droite. C’est à ce moment que la question des alliances se poserait. Elles seraient négociées par un parti lepéniste en position dominante avec une droite disloquée et recomposée à partir des lignes de forces frontistes. « L’union des droites, ce n’est pas possible, c’est un rêve » expliquait la présidente du FN dans un entretien au Monde en septembre 2016 et de continuer : «  Il y a une différence de nature entre les dirigeants de LR et nous. Nous sommes radicalement différents sur l’économie, sur l’Union européenne. Il n’a jamais été question d’un accord avec la droite, il n’y en aura pas. » Quelques mois plus tard, elle affichait le même positionnement : « L’union des droites est un fantasme réducteur. J’ai 48 ans et ça fait quarante ans que j’en entends parler. Le problème des gens qui défendent cette idée, c’est que la droite refuse de s’allier avec nous. Or, même sous les socialistes, il faut être deux pour se marier ! (Causeur, janvier 2017) ». Sur ce point, elle reprend la ligne de son père avec son FN « ni de droite, ni de gauche ». Par contre, aux temps de Jean-Marie Le Pen, un homme voyait dans cette ouverture et union potentielle une force et un avenir pour le FN. Il s’agit de Bruno Mégret. D’ailleurs, cet ancien du RPR tente immédiatement de mettre en application cette conception avec son parti, le FN-MN, issu de la scission de 1998. Bruno Mégret entend enterrer un FN et ce qu’il représente, à savoir les errements d’un homme et l’héritage idéologique d’une certaine extrême droite. Il lui a suffi de quelques mois pour afficher cette rupture et sa volonté d’alliance avec la droite républicaine. Un document interne, qui date de la fin des années 1990, expose l'objectif d'alors (et d'aujourd'hui ?) : « Le Mouvement national entend (...) tourner la page de l’ancien Front national. Il n’a plus rien à voir avec le FN lepéniste. Il se situe clairement au cœur de l’ensemble de la droite nationale et républicaine soucieuse d’œuvrer au redressement du pays. En rompant avec l’extrême droite, il va se situer, plus concrètement, entre le RPF hypothétique et le FN résiduel, avec l’ambition de mobiliser l’ensemble de l’électorat correspondant à ce vaste espace politique ».

Son apport est essentiel sur un autre point. L’ex-numéro deux du FN a remporté, en partie, sa bataille du vocabulaire. Il est parvenu à installer certains mots, concepts et thématiques du FN au cœur du débat ; l’« identité nationale » étant certainement la plus symbolique puisqu’au centre du logiciel frontiste. Un homme se révèle décisif dans cette libéralisation des mots et dans la stratégie du siphonage des voix du FN : Patrick Buisson. L’ancien rédacteur en chef de Minute et conseiller de Nicolas Sarkozy n’a pas seulement apporté les « clés du FN » à Bruno Mégret. L’idéologue d’extrême droite est à l’origine du rapprochement entre Jean-Marie Le Pen et l'ancien délégué général du FN pendant les années 1980. Il est un des maîtres d’œuvre de la stratégie de « dédiabolisation » du FN et l'apôtre de cette droite hors les murs. Bruno Mégret affiche aujourd’hui sa satisfaction. Selon lui, « les idées » que le FN a défendues, qu’il a « contribué à mettre sur le devant de la scène ont considérablement progressé ». Elles ont même « triomphé ». Le parti de Marine Le Pen a donc atteint un de ses objectifs : déplacer et installer le débat à droite.

Le degré d’intimité entre la droite et l’extrême droite varie en fonction de la dynamique électorale du parti lepéniste. Plus le FN engrange des voix, plus l’attitude de la droite envers la formation lepéniste peut se montrer généreuse. En ce qui concerne les électeurs, Jérôme Fourquet explique qu’en 1998, un tiers de l’électorat UDF-RPR approuve les accords FN-droite aux régionales. Cette position reste valide jusqu’à la fin de l’année 2010. Ensuite, jusqu’au printemps 2014, la moitié de l’électorat de droite se dit favorable à des accords. Depuis, environ 30% de l’électorat de droite se prononce, de nouveau, pour une union entre leur camp et le FN. Un élément majeur explique ce revirement : le résultat des élections européennes de mai 2014. Pour la première fois, le FN se place en tête, en nombre de voix. Marine Le Pen qualifie le FN de « premier parti de France », à l’issue du premier tour des Régionales de décembre 2015. Le logiciel s’est inversé. Le Front national ne serait plus une force d’appoint dont la droite aurait besoin. Ce serait le contraire.

Reste donc l'étape suivante. D’autres après Bruno Mégret ont tenté d’influer la ligne du FN. Pour certains - et encore plus aujourd'hui dans la perspective d'un second tour affichant la présence de Marine Le Pen -, une potentielle victoire ne peut s’obtenir qu’au prix de l’ouverture… à droite. Paul-Marie Coûteaux, ancien président du Siel (Souveraineté, Identité et Libertés) et jadis conseiller de Marine Le Pen, a essayé en vain d’exposer la viabilité de cette stratégie à Marine Le Pen : « La vraie dédiabolisation passait, sinon par des alliances d'états-majors, du moins par des liens avec des personnalités et des groupes de la droite ‘’classique’’ comme Dupont-Aignan, Villiers ou la nébuleuse de la Manif pour tous. Dieu sait combien de dîners  j'ai organisé chez moi pour mettre Marine Le Pen en relation avec ces milieux. Mais j'ai vite compris  qu'elle n'avait aucun intérêt pour cette stratégie. Sa ligne c'est ‘’ni droite, ni gauche’’ : pour elle la droite, c'est le monde du fric et des cathos, avec lesquels elle n'a aucune affinité ». Il s’est rapproché aujourd’hui de François Fillon auprès duquel il maintient cette tentative d'union des droites entre LR et le FN.

Depuis septembre 2016, une pétition circule sur internet. « Je signe l’appel à l’union des droites avant qu’il ne soit trop tard » émane du collectif « Vos couleurs ! » et revendique à ce jours 15 711 signatures :

L'appel

Ces hommes et femmes représentent la droite de « conviction » reliée notamment par une idée commune, l'opposition au mariage pour tous. « Seule une initiative citoyenne de grande ampleur peut mettre un terme à cette situation, en faisant tomber les murs des partis au profit de la constitution d’une grande majorité populaire » continue le texte qui appelle à une recomposition de la droite. Aujourd'hui, Marine Le Pen serait prête à tendre la main vers certains de cette droite hors les murs. Il n'y pas que le nom de Philippe de Villiers qui circule. Si François Fillon n’est pas présent au second tour, explique Robert Ménard, une partie de la droite « éclatera et une autre droite se recomposera dans l’urgence derrière Marine Le Pen ». Les quelques jours vont donc être déterminants. Le « cordon sanitaire » entre le Front national et cette droite traditionnelle va-t-il sauter ?

Et puis, l'union des droites n'est-elle pas consubstantielle au projet FN ? À son apparition, le parti lepéniste réfute le qualificatif d’extrême droite. Son positionnement sur l’échiquier politique constitue un enjeu pour cette petite formation qui entend s’afficher comme un parti de « droite ». Lors de sa première campagne présidentielle (mai 1974), Jean-Marie Le Pen se présente comme le « candidat de la vérité ». Il appelle à la « lutte pour le salut public et la Renaissance française ». Le « salut public » comprend l’idée d’union nationale, c’est-à-dire d’une alliance entre les droites.