Oser l’émancipation ?

Ce samedi 21 janvier, Jean-Marie Le Pen a lancé la campagne des législatives de ses candidats Jeanne au secours ! Quelques jours avant, la publication d'un sondage Ifop réalisé pour Le Figaro montrait que 52% des sympathisants du FN se disent plus proches des idées portées par Marion Maréchal-Le Pen que de celles de Florian Philippot (29%) ; un résultat qui s’applique à toutes les tranches d’âge et catégories socioprofessionnelles avec un écart davantage marqué chez les jeunes de 18 à 24 ans : 66% contre 8%.

D'un côté, un président d'honneur du FN qui ne veut pas abandonner la bataille et qui renoue avec ceux du passé, notamment les anciens du FN Carl Lang (Parti de la France) et Pierre Vial (Terre et Peuple). De l'autre, une députée qui ne fait que confirmer sa popularité au sein du FN et qui affiche au grand jour ses points de dissension avec la ligne Philippot.

Depuis qu’il existe, le FN n’a jamais apprécié les voix qui dévient bruyamment de sa ligne et disent leurs différences et désirs d’émancipation. Aujourd’hui, de nombreuses démissions au sein des conseils municipaux des villes FN sont actées. La ligne et la conduite de l'ancien président du FN sont plus que fortement critiquées. L’affrontement actuel concerne le numéro deux du FN et Marion Maréchal-Le Pen... et, en même temps, met en scène les deux femmes emblématiques du parti. Dans l'histoire du Front national, plusieurs duels se sont produits entre le président et ses numéros deux. Un des plus spectaculaires est celui entre Bruno Mégret et Jean-Marie Le Pen. Après la scission de décembre 1998 s'organise une double tentative : l'émancipation et l'affranchissement. Retour 18 ans en arrière avec le congrès de Marignane (23-24 janvier 1999) et une question. Doit-on considérer les ressemblances entre cette fin des années 1990 et la situation actuelle comme fortuites ?

Son ambition affichée ? Mettre en place les structures d’un parti qui entend se tourner vers l’avenir et transformer le FN. Le 23 janvier 1999, Bruno Mégret est tout à son triomphe. Il se laisse acclamer par les participants du onzième congrès du parti, réunis à Marignane. Il a les bras levés en signe de victoire : il vient d’être intronisé (avec plus de 80 % des voix) président d’un parti qu’il anime dans l’ombre de Jean-Marie Le Pen depuis treize ans. Entre les deux hommes forts du FN, la rupture est totale. Au même moment, le président du FN se trouve à Orléans devant 700 militants de la région Centre qui n’ont pas quitté le navire. Avec sa verve coutumière, Jean-Marie Le Pen réaffirme son pouvoir sur « son parti ». Il fustige les félons, leurs « méthodes soviétiques » et ne prend pas la peine de citer le nom de Bruno Mégret qui, en quelques mois, est devenu son pire ennemi. En ce début 1999, le Front national a deux têtes. Personne ne peut dire qui l’emportera.

À Marignane, les 2500 délégués présents ovationnent un long moment Bruno Mégret, le président du « Front national-Mouvement national » (FN-MN). Jean-Yves Le Gallou est nommé délégué général. Le secrétariat général est attribué à Serge Martinez, assisté de Franck Timmermans (le mieux élu au Comité central avec 1630 voix), administrateur provisoire. Martin Peltier est délégué national aux affaires extérieures. Jean-Marie Le Pen est élu à l’unanimité « président honoraire » du FN-MN. Sur scène, son fauteuil est vide.

La réunion est placée sous le signe de l’unité et de la continuité. Le logo du FN trône sur la tribune avec ce slogan « Le Front, La France, L’avenir ». L’organigramme du FN-MN est calqué sur celui du Front national. Quelques changements de termes voudraient bien faire penser que le nouveau parti affiche ses différences. Mais les fondamentaux demeurent. Le FN-MN ressemble à s’y méprendre à son aîné. Organisation interne, programme, propagande, université d’été, formation, tracts, slogans et affiches : tout est quasiment repris à l’identique. Bruno Mégret fait du mensuel de la fédération du Rhône, La Lettre du Front, l’organe de son mouvement. Même fichier de diffusion, même présentation que Français d’abord. Le FN-MN est la « décalcomanie du FN ». Personne ne s’y trompe.

Ces deux jours à Marignane doivent permettre de résoudre les « problèmes du Front » et de lancer une autre dynamique, « un nouveau départ pour le Front national ». Une « Charte des valeurs » met ainsi en évidence les maux du lepénisme : le président ne sera plus élu à main levée mais à bulletin secret. Il ne pourra plus nommer 20 des 130 membres du Comité central. Les délégués de droit (élus et secrétaires fédéraux ou départementaux) ne disposeront plus que d’une voix. La promesse d’une répartition plus équitable des fonds entre le siège et les fédérations sera tenue. Un « code de bonne conduite politique » est également édicté. Seize points régentent le FN-MN qui revendique, comme son aîné, le slogan « Pour Un Front “Tête haute, mains propres” ». Chaque point revient sur un épisode lié à l’histoire du FN et offre, de ce fait, une critique des us et coutumes du parti de Jean-Marie Le Pen :

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Avec le FN-MN, Bruno Mégret enterre un parti et ce qu’il représente, à savoir les errements d’un homme et l’héritage idéologique d’une certaine extrême droite. Il lui a suffi de quelques mois pour afficher cette rupture et sa volonté d’alliance avec la droite républicaine : « Le Mouvement national entend (...) tourner la page de l’ancien Front national. Il n’a plus rien à voir avec le FN lepéniste. Il se situe clairement au cœur de l’ensemble de la droite nationale et républicaine soucieuse d’œuvrer au redressement du pays. En rompant avec l’extrême droite, il va se situer, plus concrètement, entre le RPF hypothétique et le FN résiduel, avec l’ambition de mobiliser l’ensemble de l’électorat correspondant à ce vaste espace politique ».

Bruno Mégret est le premier à avoir osé franchir le pas. Il a quitté le FN, accompagné certainement des « meilleurs, (des) plus déterminés, (des) plus combatifs » des cadres du FN. Il a tenté de s’approprier le contrôle d’un parti statutairement verrouillé, de le prendre en main pour « en faire une machine politique gagnante ». Son échec tient à un ensemble de raisons, la principale étant sa sous-estimation de la prégnance et de la pérennité de la marque Le Pen dans l’histoire de ce parti et l’incapacité de ce dernier à se projeter dans l’avenir sans ce patronyme. Il faudra des années au FN pour retrouver le niveau d’avant la scission avec ses 42 000 adhérents. Plusieurs défaites à venir devront être analysées par rapport à cet événement qui a bouleversé l’histoire d’un parti et donné un coup d’arrêt brutal à son ascension.

Au-delà de leur rivalité, Bruno Mégret et Jean-Marie Le Pen représentent deux générations, deux cultures, deux méthodes... tout comme Marine et Marion Maréchal-Le Pen. La ligne politique de la députée du Vaucluse serait davantage en phase avec la génération des années 2010... et celle de son grand-père. Un nouveau duel entre deux Le Pen s'annonce-t-il ? Pas dans l'immédiat du moins... Lors d'une conférence de presse organisée avant son meeting à Fougères (Ille-et-Vilaine) tenu le 21 janvier dans une salle comble, Marion Maréchal-Le Pen refuse de commenter le sondage Ifop. Ce qui compte, affirme-t-elle, « c'est que les gens soutiennent Marine, penser qu'il y a des lignes politiques au FN est une erreur ». Par contre, une chose est claire : Marion Maréchal-Le Pen met en avant ses différences... et une autonomie inédite dans cette histoire. Son ascension continuelle est indéniable tout comme son désir d'émancipation qui, pourquoi pas, pourrait s'affirmer de plus en plus.