À Hénin-Beaumont, qui est avec le peuple ?

Mairie d'Hénin-Beaumont (photo de Vincent Jarousseau Hanslucas)

C’est une des terres symboliques du vote Front national. Celle où, pour la première fois dans l’histoire, un maire FN est élu au premier tour lors des dernières municipales : Hénin-Beaumont, au coeur du bassin minier dans le Pas-de-Calais, ancien fief de la gauche, devenue l’emblème du FN. La ville dans laquelle Marine Le Pen renaît politiquement.

Ce vendredi 13 janvier, Emmanuel Macron s’y trouve. Il participe à une cérémonie de remise des médailles d’une centrale d’achat. Pour l’ancien Ministre de l’Économie, de l'Industrie et du Numérique, un « électorat n’appartient à personne ». Dans les colonnes du quotidien local, La Voix du Nord, le candidat à la présidentielle s'adresse aux Héninois et à leur maire : « Pas de fausse polémique ! Si le maire d’Hénin-Beaumont considère que rencontrer des salariés qui travaillent et habitent Hénin-Beaumont, ce n’est pas rencontrer le peuple, qu’il m’explique quelle est sa définition du peuple ». 

Le mot est lâché : « peuple ». Le jour même, Steeve Briois réagit à la venue du représentant d’En marche ! sur ses terres. Il rapporte dans un communiqué qu'Emmanuel Macron n’est justement pas « venu se frotter au peuple, fuyant le marché d’Hénin-Beaumont, préférant choisir ses interlocuteurs dans des milieux où il se sait moins exposé ». Depuis un bon moment, le FN dit faire de la politique pour le peuple. Marine Le Pen se présente comme la « voix du peuple », la voix de « ceux qui ne peuvent pas parler »… et ses représentants expliquent prendre le « parti de ceux qui ne sont défendus par personne ». Son slogan de campagne pour la présidentielle - « Au nom du peuple » - entend exposer la présidente du FN comme la porte-parole directe et fédératrice des peuples de droite et de gauche. Marine Le Pen s’attribue une triple casquette : non seulement, elle viendrait du peuple, mais en plus, elle aspire à le représenter et à l’incarner.

L’enjeu est là : la captation des voix de l’électorat populaire dans ces territoires. Hénin-Beaumont compte environ 27 000 habitants et affiche un taux de chômage autour de 20%. La victoire du FN s’appuie ici sur un long travail militant. Depuis le milieu des années 1990, Hénin-Beaumont est quadrillée par les « trois B », anciens mégrétistes, Steeve Briois, Laurent Brice et Bruno Bilde. Le contexte économique participe à la stratégie du FN. En 2003, MetalEurope ferme ses portes. Un an avant, c’était la cokerie de Drocourt. Peu à peu, Steeve Briois adapte son discours. La thématique de « l'insécurité sociale » s'impose. Il gagne des suffrages, notamment à gauche. En 2009, sa liste récolte près de 48 % des suffrages exprimés. Cette élection municipale partielle fait suite à la mise en examen et à l'incarcération du maire PS Gérard Dalongeville (2001-2008) pour détournement de fonds, faux en écriture et favoritisme. Le contexte politique local a donc fait le reste. Le ressentiment de la population est fort dans l'ancienne cité minière.

La polémique survient rapidement après le déplacement d’Emmanuel Macron suite à certains de ses propos sur les « difficultés accumulées dans le bassin minier : la difficulté économique, l'effondrement de la mine. Sur cet effondrement il y a eu des problèmes sanitaires et sociaux. Dans ce bassin minier, il y a beaucoup de tabagisme et d'alcoolisme, l'espérance de vie s'est réduite, elle est de plusieurs années inférieure à la moyenne nationale ». Les principaux intéressés et hommes et femmes politiques le voient comme l'incarnation du « mépris » de « classe » et du « peuple ». Emmanuel Macron « refuse de répondre à ceux qui ont abandonné ces territoires hier, comme le Parti communiste, ou leur mentent aujourd'hui, comme le parti Front national ou des élus en mal de publicité ».

De l'autre côté, on se demande ironiquement si l'homme politique est venu « danser sur les ruines de ce que le socialisme (...) a laissé et que nous reconstruisons à présent à Hénin-Beaumont ? » Steeve Briois ne fait pas que souligner « l’incapacité de ses prédécesseurs ». Il n'oublie pas de revenir sur 2012, année où Jean-Luc Mélenchon s’est présenté contre Marine Le Pen aux élections législatives et qu'il a échoué. Surtout, le maire d’Hénin-Beaumont insiste sur un point :  Emmanuel Macron « humilie encore une fois les classes populaires et les habitants de (sa) région ». Le candidat d'En Marche ! n'est pas seulement un adversaire déclaré du parti lepéniste, s'érigeant en « rempart » face au FN, un « parti qui porte la haine, l’exclusion et le repli ». Il attire les foules aussi. 5000 personnes l'écoutent lors d'un meeting à Lille le 14 mai. Marine Le Pen le considère à voix haute comme le « candidat des médias ». Elle poursuit sur l'antenne de RTL : la « fascination puérile pour ce candidat en est presque drôle. Au dessus de ça, il y a les jeunes filles à la sortie du concert de Justin Bieber ».

Steeve Briois a, lui, peut-être compris une chose essentielle : dans cette ville imprégnée de conscience ouvrière, le social supplante la politique. Le maire est omniprésent et proche des habitants. Il souligne avoir respecter les grandes lignes de son programme, à savoir une baisse des impôts locaux, le rétablissement de la sécurité et l’enterrement de « 50 ans de gestion calamiteuse du PS ». L'objectif du FN à Hénin-Beaumont et ailleurs ? Devenir un parti politique banal, « dédiabolisé » diront certains.