Alain Robert, Victor Barthélemy, Alain Renault, Jean-Pierre Stirbois, Bruno Mégret, Carl Lang, etc. Ces noms sont assez familiers pour ceux qui connaissent l'histoire du Front national. Leur rôle ? Celui de secrétaire général. Depuis la création du parti en octobre 1972, plusieurs personnes se sont succédé à cette fonction. Un homme y a fait un passage éclair. C'est Pierre Gérard.
Il y a un peu moins de 40 ans se tenait à Rueil-Malmaison le cinquième congrès du FN (11-12 novembre 1978). À ce moment-là, Alain Renault est justement secrétaire général. Quelques mois avant, le 12 mars, le résultat des élections législatives n'est guère encourageant : 0,3% des voix. Elles s'appuient sur ce slogan phare du FN : « 1 million de chômeurs c’est 1 million d’immigrés de trop ! La France et les Français d’abord ! ». Quelques jours plus tard, un des idéologues du parti, le nationaliste-révolutionnaire François Duprat, est assassiné. Après six années d'existence, le FN en est toujours au stade de la construction, à tous les sens du terme et, notamment, sur le plan programmatique. Le cinquième congrès est important sur ce point : ce qui doit être considéré comme le véritable programme économique du parti est publié. Il vient prolonger la partie rédigée par Gérard Longuet dans le premier programme du FN, Défendre les Français de 1973.
On ne peut pas dire que le Front national soit véritablement solide et compétent sur cette thématique. Mais parce qu'elle est bien la seule à ce moment, la Doctrine économique et sociale du Front national sera rééditée plusieurs fois, à la demande de Jean-Marie Le Pen. Sorte de manifeste « libéral-national », le livret de 49 pages reprend les thèses poujadistes et fait l’apologie des libertés économiques. La première page donne le ton :
La couverture n'est pas signée. Aucune trace de l'auteur dans cette Doctrine économique et sociale du Front national. Qui est-ce ? Il s'agit de Pierre Gérard. L'itinéraire de cet homme est loin d'être anodin. Il est un des anciens collaborateurs du commissaire général aux Questions juives sous Vichy, Louis Darquier de Pellepoix. Il a été délégué général du Rassemblement anti-juif (pour l’Alsace-Lorraine et la Franche-Comté) - dont l’action est limitée au « terrain antisémite » précise l'historien Laurent Joly - et, aussi, directeur adjoint de l’Aryanisation économique en 1942... avant de devenir le cerveau de l’Union française pour la défense de la race et de la Propagande du commissariat général aux Questions juives. Pierre Gérard, « fidèle second de Darquier de Pellepoix » continue Laurent Joly, sera condamné à l’indignité nationale à vie par la cour de justice de la Seine. Il a certainement bénéficié d’une amnistie pendant les années cinquante.
Pierre Gérard n'est pas un inconnu au FN. Il est simplement discret. Il est tout de même nommé secrétaire général en juin 1980 par le Comité central du FN, en remplacement d’Alain Renault, démissionnaire depuis mars. C’est certes le seul disponible à ce moment. Il garde toutefois un gros mérite aux yeux de Jean-Marie Le Pen : il est l'économiste du parti. La période pendant laquelle Pierre Gérard exerce son secrétariat ne se distingue pas. Jean-Pierre Stirbois le remplace dans ses fonctions un an plus tard.
En 1984, sa Doctrine paraît sous le titre Droite et Démocratie économique. De nouveau, Jean-Marie Le Pen met en avant la qualité de cet ouvrage qu'il qualifie de « catéchisme économique du Mouvement national ». D'ailleurs, il reste sa « bible » jusqu’au début des années quatre-vingt-dix. Sur la couverture, un nom apparaît : Jean-Marie Le Pen. Le président du FN est, certes, l'auteur de la préface mais la page de couverture prête à confusion. Si la surexposition de Jean-Marie Le Pen n’est pas nouvelle, il paraît évident que cette démarche de dissimulation est volontaire.
En quatre décennies, beaucoup de choses ont changé au FN. C'est une évidence. Sa composition interne s’est modifiée. Certains ont quitté le parti plus ou moins tardivement. D’autres sont décédés. Les références historiques ont, elles aussi, bougé. Lors de sa constitution, le souvenir du second conflit mondial et de la guerre d’Algérie est omniprésent dans la constitution du Front national. Les différentes sensibilités et individualités de l’extrême droite française figurent à l’origine du mouvement : anciens SS, anciens collaborateurs du régime de Vichy, anciens poujadistes et militants de l’Algérie française, nationalistes-révolutionnaires, royalistes, auxquels s’associent des personnalités diverses, mais chacune s’adapte, en fonction de sa culture politique propre, aux thèmes de la propagande frontiste émergente. C’est une des constantes de son histoire : le parti de Jean-Marie Le Pen a « vocation à rassembler tous les nationaux sans exception ». Plusieurs cadres du FN de Jean-Marie Le Pen ont collaboré pendant la Seconde Guerre mondiale à commencer par Emmanuel Allot plus connu sous son pseudonyme François Brigneau. L’ancien milicien est cofondateur du FN et vice-président du parti de 1972 à 1973. Pour autant, Jean-Marie Le Pen évite d'exposer certains hommes et femmes ayant des parcours trop « marqués ». Le cas de Pierre Gérard l'illustre parfaitement.
Aujourd'hui, Marine Le Pen s'applique à apporter une certaine cohérence dans le domaine économique. Sur ce point, la stratégie du parti lepéniste ne semble pas afficher de nouveautés par rapport à 2012. Le projet présidentiel sera rendu public en février 2017. Le choix des hommes, des représentants du FN, est également une priorité pour le parti lepéniste. Le « stratégiste économique » du FN est le député européen Bernard Monot, responsable du Comité d'action programmatique économique (Cap Eco). Il est un des profils mis en avant par le FN, affichant un itinéraire professionnel et une ligne... pourrait-on dire « irréprochables » .