"Non au racisme anti-Français !"

Depuis le 3 novembre, des cadres du FN - dont Marine Le Pen - partagent des visuels accompagnés de messages, signés « Les Jeunes avec Marine ». David Rachline les a publiés et commentés notamment sur son compte Twitter.  Le premier est assorti de ce petit texte : « Alors que tant de nos compatriotes sont en difficulté, nos dirigeants privilégient les migrants. Dénonçons cette injustice ! »  Un autre, publié le lendemain, est accompagné de ces quelques mots du sénateur-maire de Fréjus et directeur de campagne de Marine Le Pen : « 3,8 millions de nos compatriotes sont mal-logés. Mais des milliers de places d'accueil sont trouvées pour les migrants ! » Il s'appuie sur ce tract :

Sandra

Les partages et commentaires vont bon train. Manon Bouquin, responsable FN du quatrième arrondissement de Paris écrit : « La préférence étrangère, ça suffit ! Avec le ‪@FN_officiel, les Français seront les premiers servis chez eux ». Pour le maire de Hénin-Beaumont et député européen FN Steeve Briois, « seule Marine Le Pen accordera aux familles françaises la priorité d'accès au logement social ». Gilles Pennelle, président du groupe FN au Conseil régional de Bretagne, pense ceci : « Pendant que l'État PS et ses alliés LR logent les ‪#migrants dans des châteaux, des familles françaises sont à la rue ».

Avec d’autres mots, ces élus frontistes mettent en avant une des thématiques centrales du FN. Dès son apparition, le parti de Jean-Marie Le Pen affiche comme mot d’ordre la défense des « Français d’abord »… liée, quelques années plus tard, à une autre protestation : le « racisme anti-Français ». Selon le FN, le gouvernement protège et favorise les étrangers aux dépens des Français. Aujourd’hui, la « préférence étrangère » est plus que jamais dénoncée dans un contexte de crise des réfugiés. Rien de très nouveau dans ce retournement sémantique pour ceux qui connaissent l’histoire de l’extrême droite.

On l'accuse d’être un parti raciste ? Le FN retourne la formule : ce sont ces mêmes accusateurs qui, en réalité, font preuve de racisme… envers les Français. Une des affiches fondatrices de ce marqueur frontiste est éditée pour un meeting du Front national à la Mutualité le 9 mars 1977 dans le cadre des premières municipales (13-20 mars) du parti. Elle représente un pied écrasant le drapeau français. Cette idée, explique Zvonimir Novak dans son livre Tricolores. Une histoire visuelle de la droite et de l’extrême droite est la « transposition d’une ancienne image de la Ligue des patriotes de Paul Déroulède, où l’on voit un prussien s’essuyer les bottes sur le drapeau français ». François Duprat est à l’origine de ce slogan qui séduit immédiatement l’extrême droite française.

Racisme anti-français

Pendant les années 1980, les publications d’extrême droite - dont celles du FN - relatent « régulièrement des faits divers impliquant des racistes d’origine immigrée persécutant des Français de souche » rapporte Minute (16 octobre 2012). En 1984, le journaliste Serge de Beketch, alors rédacteur en chef de Minute et le député européen FN Bernard Antony créent l’AGRIF (Alliance générale contre le racisme et pour le respect de l’identité française et chrétienne). Son objet s’inscrit dans la lutte contre le « racisme anti-Français » et les « persécutions anti-chrétiennes ». Quatre ans plus tard, Jean-Yves Le Gallou, secrétaire général du groupe Front national à l’Assemblée nationale, publie Le Racisme antifrançais sous titré « une discrimination cachée : la préférence étrangère ». Ce livre, édité par le FN, est le texte de sa communication faite au colloque « antiracisme et identité » (23-24 janvier 1988) organisé par le Club de l’Horloge. On peut y lire notamment ceci : « Les Français, et particulièrement leurs représentants du Front national, sont souvent accusés de racisme. Ici, cependant, nous ne sommes plus en position d’accusés mais en position d’accusateurs. Nous accusons les nouveaux philosophes et leurs relais dans les médias d’avoir théorisé, puis popularisé un discours antifrançais. Nous accusons l’Éducation nationale de diffuser une conception mutilante de la nation française (...). Plus grave, nous accusons les gouvernements français successifs, non seulement d’avoir refusé la mise en œuvre du principe de la préférence nationale, mais encore d’avoir accordé une véritable préférence étrangère dans les domaines du logement, de la formation et de l’emploi. (…) nous tenons à attirer l’attention des Français sur le fait qu’ils sont en train de devenir dans leur propre pays des citoyens de seconde zone. Pour faire cesser les discriminations antifrançaises, il ne reste plus qu’un seul rempart : Jean-Marie Le Pen et le Front national ».

Le « racisme anti-Français » doit être perçu à travers deux axes : il répond à l’émergence de l’antiracisme, notamment avec l’apparition de l’association SOS Racisme en 1984. Jean-Marie Le Pen le dit clairement. Pour lui, le « racisme anti-Français » est une conséquence de « l’antiracisme, instrument politique d’aujourd’hui, comme le fut l’antifascisme avant guerre n’est pas un non-racisme. C’est un racisme inversé, un racisme antifrançais, antiblanc, antichrétien ». C’est le second axe qui est exploité aujourd’hui par le FN. Le parti de Marine Le Pen considère que des violences et discriminations quotidiennes « subies » par les Français s’apparentent justement au « racisme anti-Français ». En 2012, le Front National de la Jeunesse produit cette affiche qui entend dénoncer ce « racisme » que connaîtraient de « trop nombreux Français dans leur propre pays ».

FNJ 2012

Dans son premier programme présidentiel, Marine Le Pen y revient également. Dans le chapitre intitulé « Rétablir l’autorité de l’état », on peut lire ceci : « Le racisme anti-Français comme motivation d’un crime ou d’un délit sera considéré comme une circonstance particulièrement aggravante et alourdira donc la peine encourue ».

Aujourd’hui encore plus qu’hier, le FN surexploite ce marqueur. Associés à la dénonciation de la « submersion migratoire », le « racisme anti-Français » et/ou le « racisme anti-Blanc » sont mis en avant par les élus du FN. Le discours est rodé : notre pays assure confortablement l’accueil et le « confort » des « migrants » - substitut rhétorique des demandeurs d'asile et des réfugiés - alors que nombre de Français se « battent pour faire face aux réalités quotidiennes ». D’un côté, des Français qui « souffrent » et de l’autre, des « milliers de migrants » pour qui le gouvernement parvient à offrir des conditions de vie plus qu’acceptables, certains étant même logés « dans des châteaux ou des centres de vacances ». La conclusion ? Le gouvernement a abandonné la défense des Français pour celle des immigrés (et des réfugiés)... et le FN s’occupe, lui, justement prioritairement des Français. La « préférence étrangère doit laisser la place à la priorité nationale » assure le directeur national du FNJ et membre du bureau politique du FN Gaëtan Dussausaye.

Ce 5 novembre, lors de l’inauguration d’un centre d’accueil pour SDF dans le seizième arrondissement, quelques militants du FN déploient une banderole où l’on peut lire « Français d’abord, clandestins dehors ». L’un d’eux explique être venu pour « vérifier si ce sont des SDF ou des migrants. Si ce sont des migrants, on est contre ». Les actes et paroles de ces hommes et femmes ne font pas que s'inscrire dans le principe premier de leur parti – la « préférence nationale » – rebaptisé « priorité nationale » par le FN des années 2010. Ils réactivent trois slogans phares et pérennes du FN : « Français d'abord », « On est chez nous ! » et « Non au racisme anti-Français ! »