Diabolisation contre dédiabolisation : suite (lyonnaise)

Bruno Gollnisch, Jean-Marie Le Pen et sa fille au congrès de Tours (ALAIN JOCARD / AFP).

Lors de l’émission TV « Face à Face » (Télé Lyon Métropole) du 7 octobre, Christophe Boudot explique soutenir Laurent Wauquiez. De quoi s'agit-il ? Le Président du conseil régional d'Auvergne-Rhône-Alpes envisageait de baisser la subvention attribuée à la Maison d’Izieu. Si le FN approuve l'élu de droite (qui reviendra sur sa décision), la gauche et des associations de lutte contre le racisme et l’antisémitisme font part de leur indignation.

Christophe Boudot met en avant plusieurs aspects pour défendre sa position tout en précisant, au cours de l'émission, qu'il ne s'est jamais rendu à la Maison d'Izieu. L'élu FN lyonnais considère que la mémoire de cette histoire - « toutes ces choses mémorielles » - transmise par le mémorial est « trop politisée » et qu’elle « aboutit toujours à une forme de repentance, toujours la même ». Quelques heures plus tard, Christophe Boudot revient sur ses propos avec la publication d'un message Twitter : « Mal informé sur cette question, j'ai commis une erreur d'appréciation. Je tiens à m'en excuser ». 

Qui est Christophe Boudot ? Tête de liste pour les élections régionales en Auvergne-Rhône-Alpes, il vient d'être pré-investi par le FN dans le cadre des élections législatives. Il s'inscrit, sans conteste, dans la lignée de Bruno Gollnisch. La fédération Front National du Rhône compte actuellement 52 élus parmi lesquels cet homme, âgé de 47 ans. Catholique pratiquant, militant FN depuis 1988, il adhère au parti de Jean-Marie Le Pen après la présidentielle de 2002. Trois ans plus tard, il fait une rencontre qui « va changer sa vie ». Entre lui et Bruno Gollnisch, une amitié naît et, aussi, une certaine conception de la politique. En 2007, Christophe Boudot lui succède à la tête de la fédération du Rhône où il est nommé secrétaire départemental. En 2010, il est élu au conseil régional Rhône-Alpes et siège aux commissions de l’agriculture et de la culture. Il est chargé de la communication et de l’animation de la campagne interne de Bruno Gollnisch pour la présidence du FN. Lors du Congrès de Tours, il est élu au comité central du Front National. Il siège au bureau politique national. À l’issue des élections municipales de 2014, il est élu conseiller du huitième arrondissement de Lyon, conseiller municipal et conseiller communautaire.

Depuis quelques temps, dans les municipalités FN, le parti de Marine Le Pen décide de ne plus venir en aide à certaines associations en invoquant le même argument : « trop politisée ». Mais les propos de Christophe Boudot sont loin d’être anodins sur d'autres plans. Ils s'attaquent à un lieu mémoriel précis et reviennent, avec un mot, sur la politique de collaboration de l’État français dans la déportation des juifs de France. La maison d’Izieu, le mémorial des enfants juifs exterminés est un établissement chargé d'histoire, désigné (depuis le décret présidentiel du 3 février 1993) comme l’un des trois lieux de la mémoire nationale. Quarante-quatre enfants juifs ont été retrouvés dans cette maison de colonies de vacances, puis déportés à la suite d'une rafle de la Gestapo (6 avril 1944) et exterminés. Des paroles qui replongent donc le FN dans deux histoires précises : celle de son « rapport » avec l'extermination des juifs et une autre, liée à la première et toujours d’actualité : la « dédiabolisation » du FN. Ils entrent, également, en résonance avec un point central de la stratégie de Marine Le Pen, entamée depuis le début des années 2000 : se couper des groupuscules radicaux... et de l’obédience Gollnisch, un des représentants du lepénisme historique, opposé à la normalisation du discours frontiste.

L’histoire lyonnaise du FN des années 2000 nous permet de revenir sur certaines déclarations de Bruno Gollnisch. Le 11 octobre 2004, le délégué général du FN est l'auteur de paroles légitimant le négationnisme. Elles sont tenues lors d’une conférence de presse consécutive à la sortie du rapport de l’historien Henry Rousso sur le négationnisme à l’université Lyon III. En voici quelques-unes :

« M. Rousso, historien estimable d’origine juive, directeur de l’Institut d’Histoire du Temps Présent, adversaire déclaré des "révisionnistes" (...) aurait pu être considéré comme un historien engagé contre ce qu’il avait pour mission d’étudier ».

« Henry Rousso est un historien engagé, c’est une personnalité juive, une personnalité estimable, mais sa neutralité n’est pas assurée ».

« Il n’y a plus un historien sérieux qui adhère aux conclusions (du procès) de Nuremberg ».

« Je ne remets pas en cause l’existence des camps de concentration mais, sur le nombre de morts, les historiens pourraient en discuter. Quant à l’existence des chambres à gaz, il appartient aux historiens de se déterminer ».

« Il y a des intérêts considérables à nier ce débat, c’est l’intérêt de l’Etat d’Israël dans les discussions sur les réparations qui sont sans fin ».

« Les Français en général, et les Lyonnais en particulier sont peu informés de la réalité des persécutions et des mensonges. (...) Que M. Roques, auteur de la fameuse thèse de Nantes, était considéré publiquement comme le meilleur spécialiste de la question par le célèbre historien Alain Decaux, académicien, et ancien Ministre socialiste ».

D'un côté, Marine Le Pen désapprouve « sincèrement et sans ambiguïté » ce discours. De l'autre, le bureau politique du FN vote une motion de soutien à Bruno Gollnisch. Le cercle de Marine Le Pen ne s’y associe pas. Le message est clair : il ne faut pas faire de l’histoire de la Seconde Guerre mondiale un thème de discorde. Pour ses propos, Bruno Gollnisch est révoqué de ses fonctions de professeur d’université en 2005. Il est condamné le 18 janvier 2007 par le tribunal correctionnel de Lyon à trois mois de prison avec sursis et 5 000 euros d’amende pour contestation de crimes contre l’humanité. Le 28 février 2008, la cour d’appel de Lyon confirme le jugement. Bruno Gollnisch se pourvoit en cassation. En juin 2009, la Cour de cassation annule la condamnation.

En même temps, cet épisode du 7 octobre montre une certaine nouveauté dans son dénouement. Christophe Boudot s'excuse peu après ses déclarations. A-t-il reçu un appel du siège du FN ? Percevait-il une suite de l'histoire le surexposant sur des aspects peu compatibles avec la « dédiabolisation » frontiste ? Joint pas téléphone, Dominique Vidaud, le directeur de la maison d'Izieu revient sur l'attitude de l'élu FN et sur ses propos :  « Ce qui est le plus choquant, c'est de débiter des propos sur la Maison d'Izieu sans y avoir jamais mis les pieds. Ce n'est pas honnête de nous présenter comme un lieu de "repentance" car cela fait fi du travail scientifique qui s'accomplit : ici, nous présentons objectivement des faits historiques en tentant d'en restituer la réalité et la complexité ; nous abordons également les aspects judiciaires des crimes contre l'humanité, de Nuremberg à nos jours ; enfin, nous abordons la construction de la mémoire de cette tragédie singulière, en la reliant à l'histoire de notre pays... où est la politisation ? Nous ne souhaitons pas être pris en otage dans des débats qui nous sont étrangers. Le seul point positif de ces déclarations, ce sont les excuses de celui qui reconnaît avoir été "mal informé" : une première pour un cadre du FN ! »