C’est une date particulière pour Jean-Marie Le Pen. Peut-être encore davantage le 5 octobre 2016. Ce jour, il se retrouve devant le tribunal de grande instance de Nanterre pour contester son exclusion (du 20 août 2015) d'un parti qu'il a présidé pendant près de quarante ans. Il entend réclamer sa réintégration et de « multiples réparations », notamment financières. Quarante-quatre plus tôt, jour pour jour, il se trouvait à côté de François Brigneau, salle des Horticulteurs à Paris, pour annoncer la création du Front national. Le 5 octobre 1972, le Front national pour l’unité française (FNUF) se présentait comme l’affirmation politique de la droite « nationale, populaire et sociale ». Il souhaitait « tourner la page de tous les déchirements historiques du XXème siècle » et devenir une « structure d’accueil pour tous les patriotes afin que tous puissent se retrouver autour de cette logique d’abord nationale, et autour de la personnalité de Jean-Marie Le Pen ». Un peu plus d'un mois plus tard, le FN tenait son premier meeting. Beaucoup de choses se mettent en place à ce moment précis.
Le 15 octobre 1972, la publication d'Ordre nouveau, Pour un Ordre nouveau, affiche en première page la flamme du FN et un de ses slogans phares :
En quatrième de couverture, Alain Robert, le secrétaire général d'Ordre nouveau et du FN, lance un appel - dans lequel il revient sur un de ses modèles politiques, le parti néofasciste italien le MSI - au rassemblement des nationaux pour un meeting le 7 novembre. Environ 2 700 personnes assistent à la première réunion publique du FN, à la Mutualité. Deux thèmes dominent : le soutien aux combattants du Sud-Vietnam et la campagne des élections législatives à venir. Le FN se présente comme un parti rassembleur, d’opposition et protestataire. Roger Holeindre, François Brigneau, Alain Robert et Jean-Marie Le Pen prennent la parole. Le président du FN impressionne l’auditoire. Il se révèle comme un orateur « incroyable ». S’adressant à l’ensemble des nationaux qui, pour la plupart, ont connu les guerres, il s’impose comme le tribun de la Mutualité: « Le monde de demain sera redoutable, dangereux, passionnant. Une nouvelle aventure attend les hommes au coin de l’histoire (…). Dans ce combat, nous n’irons pas seuls, il y aura avec nous la cohorte immense et glorieuse de tous ceux qui sont tombés dans les rizières, dans les djebels et face aux poteaux d’exécution ».
Ce premier meeting du FN affiche une image de rupture avec le passé. La dédiabolisation est une tactique perçue comme une condition sine qua non de réussite. Un compte rendu du Monde (9 novembre 1972) insiste sur la naissance d’un nouveau parti, débarrassé de ses oripeaux : « C’est à peine si on pouvait constater mardi soir que cette formation est partie prenante dans le Front national. Point de ces casques, de ces matraques que l’on voyait s’aligner quasi militairement lors des meetings d’Ordre Nouveau. Au contraire, service d’ordre discret, un public plus âgé aussi et des orateurs plus expérimentés ».
Pour ceux du FN, tout pourrait commencer à La Mutualité. Il n'y a pas seulement cette personnalité de Jean-Marie Le Pen qui séduit nombre de personnes présentes. Quelques semaines après son apparition, le FN montre les signes annonciateurs de ce qui constitue une structure politique : impression de sa première affiche de meeting, reposant sur les couleurs « nationales », sur l'apparition d'une première charte graphique et l'institution immédiate de l'entrée payante comme l'a toujours fait l'ami de Jean-Marie Le Pen, Léon Degrelle :
Mise en place des premiers slogans : « Chassons les voleurs du pouvoir ! », « Barrons la route au Front populaire ! » et « Avec nous, avant qu’il ne soit trop tard ». Premières adhésions au parti et, aussi, première publication avec la parution de Front national, tiré à 100 000 exemplaires. Dirigé par Pierre Durand, cet opuscule de 4 pages donne le signal des publications officielles du FN. Vont suivre Le Front national, Le National, National Hebdo, Français d’abord, La lettre de Jean-Marie Le Pen, etc. Le FN ne va pas tarder à quitter la rue de Beaune pour inaugurer ce qui doit être considéré comme son premier siège, au second étage du 7 rue de Surène dans le huitième arrondissement où il restera neuf ans.
En apparence, le Front national a rempli plusieurs objectifs dont le principal : fédérer les principales chapelles de l’extrême droite. La réalité est autre. La création du parti engendre des dissensions au sein d’ON. Des militants quittent la formation, s’estimant trahis par sa nouvelle orientation. La première scission se profile. Avant, le FN participe à ses premières élections. Aux législatives de mars 1973, il obtient 1,3% des voix. Jean-Marie Le Pen totalise 5,22% des voix dans la quinzième circonscription de Paris.
Plus de quatre décennies ont passé. Dans la nuit du 13 au 14 septembre 2016, des militants des Comités Jeanne au secours ! collent leurs premières affiches. Jean-Marie Le Pen tient sa première réunion deux semaines plus tard à Mormant (Seine-et-Marne) pour le lancement du Comité Jeanne 77 ; des structures pour lesquelles il entend présenter des candidats aux prochaines législatives, en concurrence avec le FN. Car à Montretout, ils ne cessent de l’affirmer : de nombreuses adhésions au mouvement de Jean-Marie Le Pen arrivent quotidiennement ; la majorité provenant de militants du FN. Ce 28 septembre, l'ancien président du FN annonce également que sa structure de financement, Cotelec, « a décidé d’accéder à une partie de (la) demande » de Marine Le Pen, à savoir un prêt de plusieurs millions d'euros pour sa candidature à la présidentielle. Dans cette salle où des admirateurs de l'homme politique se retrouvent, on entend cette phrase : « Pour nous, le FN c’est toujours Jean-Marie Le Pen ».