Malek Boutih n’est pas un homme politique isolé quand il fait de telles déclarations. Sur le site du Figaro.TV, le député PS de la dixième circonscription de l’Essonne (et ancien président de SOS Racisme) explique, ce 3 juin, que Marine Le Pen « peut être présidente de la République » en insistant sur le « grand danger » qu'elle représente pour la République. Autre type de propos : fin mai, dans le cadre de la présidentielle autrichienne, le président de l'UDI Jean-Christophe Lagarde estimait que si Norbert Hofer était élu, ce serait la « première fois depuis Hitler qu'un chef d'Etat d'extrême droite est élu en Europe ». Et de rajouter : « Marine Le Pen espère être la troisième ».
Depuis le début des années 1980, période de ses premiers succès électoraux, le parti d'extrême droite suscite une attention particulière. Certains acteurs et observateurs politiques tiennent des propos prophétiques et anxiogènes. D'autres dressent des parallèles en décalage avec la réalité historique. Depuis une trentaine d'années, des commentaires de politiques suscitent certaines interrogations... tout comme le traitement médiatique du FN ; politiques et opinion publique s’insurgeant contre la supposée trop grande place accordée au parti d'extrême droite dans les médias.
Comment parler du FN ? Comment le combattre ? Des questions pérennes qui traversent l'histoire du FN. « Le Pen fasciste, Le Pen nazi, Le Pen dehors, nous écrasons les nazis ». Ce bombage se lit sur un mur de Seine-et-Marne, peu après l'attentat de la rue Copernic d'octobre 1980. Il proteste contre la tenue d’un dîner-débat organisé par le FN. Ces inscriptions, à caractère antiraciste, sont les premières d’une longue série.
Il s'agit de revenir, entre autres, sur une association phare des années Mitterrand dans sa lutte contre le racisme et la perception de sa stratégie par le FN. D'évoquer également cette diabolisation dont le parti lepéniste se nourrit incontestablement. L’émergence de SOS Racisme est concomitante à la médiatisation du FN. Créée en octobre 1984 (après les européennes de juin qui voient l'élection de 10 députés FN), l'association lutte contre le racisme autour d'une valeur commune : l'antifascisme. La première fête de l’association antiraciste (15 juin 1985), organisée Place de la Concorde, rassemble 300 000 personnes, essentiellement des jeunes. Avec SOS Racisme, la gauche réoriente l’axe général de son combat.
Le FN y voit une « machine de guerre politique » socialiste dont le but est celui-ci : déstabiliser la droite en faisant du FN une force politique d’envergure. L’espace politique frontiste est en train de s’élargir. Le Front national se crée un territoire autonome par rapport à celui de la droite. Et justement, selon le parti de Jean-Marie Le Pen, ce positionnement déclenche à gauche une « stratégie de diabolisation – la stratégie dite “du Front fort” – qui vise à empêcher que les deux morceaux de la droite ne se ressoudent ». Le combat antifasciste serait-il un moyen de fédérer la gauche dans son rejet du FN ? Le gouvernement de François Mitterrand a-t-il favorisé la poussée du FN pour diviser la droite ? Au début des années quatre-vingt, Pierre Bérégovoy, secrétaire général de l’Élysée, émet un commentaire révélateur de la stratégie politique de son parti à l’égard du FN : « On a tout intérêt à pousser le Front national, il rend la droite inéligible. Plus il sera fort, plus on sera imbattables. C’est la chance historique des socialistes ».
Selon Jean-Marie Le Pen, les socialistes créent le « mythe de la menace fasciste » en fabriquant des organisations pour le combattre. Le président du FN insiste cependant sur le fait que son parti n’a pas eu besoin des autres pour se construire. L’idée qu’il doit sa visibilité, ces années-là, à un calcul politique de la gauche relève pour lui « de la légende ». En même temps, à partir de 1984, la communication du FN passe aussi par les contre-manifestations. Mouvements de gauche et organisations antiracistes, pour la plupart, viennent dire sur place leur opposition. Leurs affiches font souvent connaître les dates des réunions publiques du FN. Autrement dit, explique Lorrain de Saint Affrique, Jean-Marie Le Pen « en a tiré très vite des conclusions ». Le conseiller en communication du président du FN poursuit : « dans sa stratégie future, ce sont les forces adverses qui (le) font avancer ».
Le FN exploite-il la stratégie mise en place par ses adversaires politiques ? Aujourd'hui, Marine Le Pen opte officiellement pour une voie médiatique et politique précises : être rare. Début janvier, lors de ses voeux à la presse, elle affirme devant un parterre de journalistes qu'ils la verront « peu cette année ». 2016, continue-t-elle, sera consacrée au terrain, « au contact des Français », avant le lancement de sa campagne début 2017. La présidente du FN s’engage à aller au plus près des Français ; une sorte de remake de son « Tour de France des oubliés » de 2013 pendant lequel elle entendait être la porte-parole de « tous ces Français qui n'intéressent personne » et leur proposer une « espérance ». « La France apaisée », premier slogan du FN de 2016, accompagne Marine Le Pen.
Cette parenthèse s'explique par plusieurs aspects, notamment l'image négative de Marine Le Pen qui persiste auprès d'une majorité de Français. Certes, d'autres qu'elle s'affichent sur les plateaux. Et tous sont conscients d'une chose : leur parti occupe les terrains médiatique et politique que ses représentants y soient présents... ou pas.