"Les muets ne comptent pas"

Mars 1978 : le FN présente 162 candidats pour les législatives. Estimant qu'il ne bénéficie pas du temps d'antenne prévu par la loi, Jean-Marie Le Pen "proteste" devant l'ORTF

Ce sont quelques mots paru dans une tribune signée Jean-Marie Le Pen dans Le Monde du 7 mai 1974. Le président du FN y écrit notamment ceci : « Que ceux qui se piquent de réalisme politique se souviennent bien d'une chose : en politique n'existe que ce qui paraît exister. Les muets ne comptent pas et ne compteront jamais ».

Ce 19 avril, la présidente du FN affirme sur Radio Classique : « Essayons de donner une information qui soit juste à ceux qui nous écoutent. Le Front national a eu 5 % du temps d’antenne politique. (...) Alors il se trouve que vos confrères préfèrent inviter Marion, Florian et Louis Aliot. Mais il n’en demeure pas moins qu’en tout et pour tout c’est 5 % du temps d’antenne politique, donc on ne peut pas dire que nous soyons traités en nous déroulant le tapis rouge. »

Le traitement médiatique du FN est-il différent - et même très inférieur selon Marine Le Pen - que celui apporté aux autres formations politiques ? La présidente du FN estime à 5% le temps de parole accordé au FN à la radio et/ou à la télévision. Vraiment ? En vérité, c'est bien « plus compliqué » que cela.

C’est une plainte récurrente dans l’histoire du FN. La raison est assez simple... et l'enjeu primordial pour le parti d'extrême droite. 

Une revendication quasiment originelle

Au début des années 1980, les médias ne s’intéressent pas vraiment à ce qui n’est encore qu’une formation politique marginale. Début mai 1982, François Mitterrand prononce un discours, à Orléans, dans le cadre des fêtes de Jeanne d’Arc. Il dit notamment ceci : « L’unité nationale, ce n’est pas l’uniformité, c’est le pluralisme des opinions, le choc des idées. » Jean-Marie Le Pen réagit à ces propos. Le 26 mai, il écrit à François Mitterrand. Dans sa lettre, le président du FN rappelle au président de la République un de ses engagements : changer le système de scrutin. Jean-Marie Le Pen ne fait pas que dénoncer le scrutin majoritaire qui exclut un peu plus les formations politiques minoritaires comme la sienne. Il souligne l'inexistence de relais médiatique : « Notre mouvement, le Front National, vient de tenir à Paris son sixième congrès. Si vous ne disposiez comme moyen d’information que de la télévision d’État, vous n’en auriez rien su. En effet, dans ce domaine, la situation faite aux formations politiques non représentées à l’Assemblée nationale, déjà très injuste avant vous, s’est encore aggravée ».

Conseillé par Michel Charasse, François Mitterrand répond rapidement à Jean-Marie Le Pen : « Il est regrettable que le congrès d’un parti soit ignoré par la Radio-Télévision. (…) Elle ne saurait méconnaître l’obligation de pluralisme qui lui incombe (...). L’incident que vous signalez ne devrait donc plus se reproduire. Mais d’ores et déjà, je demande à Monsieur le Ministre de la Communication d’appeler l’attention des responsables des sociétés Radio-Télévision sur le manquement dont vous m’avez saisi »... Des propos suivis rapidement de faits concrets.

Le 29 juin 1982, Jean-Marie Le Pen intervient en direct au journal du soir, sur la première chaîne. Sa carrière médiatique est sur le point de commencer. Son parti ne va pas tarder à émerger sur la scène politique française. À partir de ses premiers résultats électoraux, le FN suscite une attention particulière des médias... en décalage avec certaines réalités historiques de la part des observateurs politiques et des médias. Jean-Marie Le Pen se révèle être un « bon client ».... tout comme sa fille d'ailleurs, bien des années plus tard.

Aujourd'hui, certaines chaînes TV accorderaient un temps de parole au FN supérieur aux autres formations politiques. Certains représentants du FN sont d'ailleurs des habitués des médias. Et ils passent régulièrement - pour ne pas dire quotidiennement - sur les ondes radiophoniques et/ou sur diverses chaînes TV. 

Petit aperçu de ces derniers jours des passages médiatiques des représentants du FN :

  • 19 avril : Marine Le Pen sur Radio Classique - Paris Première - Floriant Philippot sur I Télé
  • 18 avril : Marion Maréchal Le Pen au Grand Jury RTL/Le Figaro/LCI - Floriant Philippot sur Canal +
  • 17 avril : Gilbert Collard sur Sud Radio
  • 16 avril : Florian Philippot (et Daniel Cohn-Bendit) - sur Europe 1
  • 15 avril : Florian Philippot sur Europe 1... et sur BFM-TV
  • 14 avril : Nicolas Bay sur Public Sénat

 

Entre les deux tours des régionales de décembre 2015, Alexandre Dézé revenait sur cette attention médiatique « démesurée » accordée au FN. Le politiste poursuivait ainsi : « A-t-on entendu parler d’autre chose pendant la campagne ? Pas vraiment. Et comme l’a révélé l’Argus de la presse, Marine Le Pen a été une nouvelle fois la personnalité politique la plus médiatisée au cours de ces dernières semaines. Il faut comprendre que le FN est très rentable pour les médias. Il fait vendre. Cela a toujours été comme ça, y compris du temps de la présidence de Jean-Marie Le Pen. Les médias s’intéressent donc d’autant plus au FN. Or cette surexposition n’a fait que servir les intérêts du parti. Elle a contribué à normaliser sa présence, elle a permis à Marine Le Pen de diffuser son storytelling, celui de la dédiabolisation ».

 

« Mesdames, Messieurs, vous me verrez peu cette année, nous aurons peu d'occasions de nous rencontrer directement », affirme Marine Le Pen dans son discours des vœux à la presse. Depuis janvier 2016, la présidente du FN aurait donc entamé une sorte de diète médiatique (afin de redorer son image). Une décision et attitude qui lui semblent difficilement tenables... et qu'elle annonce, notamment, au 20 heures de TF1. La réaction de Jean-Marie Le Pen est immédiate : sa fille « commence plutôt par un gueuleton ! »