Un FN qui ne veut pas dire son nom

« En tout cas, si l'on veut lancer un débat sur ce sujet, il faut y associer Jean-Marie Le Pen et ses amis. Sinon ce n'est pas un vrai débat, c'est un monologue. Mais alors il faut organiser un congrès physique, pas un congrès postal ». Dans un entretien paru ce jour dans Rivarol, Jean-Marie Le Pen exprime, une nouvelle fois, son désaccord à propos du changement de nom de ce qu’il considère toujours comme « son » parti. L’ancien président du FN affirme d'ailleurs qu’il récupérera le nom si la direction l’abandonne, arguant un « certain droit d'antériorité ».

Cela fait un bon moment que le bruit circule. Depuis 2012, les étapes vers cette éventualité sont posées progressivement. La logique voudrait que le Front national prenne une nouvelle appellation courant 2016, en vue de la prochaine présidentielle. Une nouvelle présidente, une dynamique électorale inédite, de nouveaux élus, un soi-disant nouveau parti depuis le Congrès de Tours, etc... dans l’histoire des formations politiques, les changements de nom (et de logo) correspondent, le plus souvent, à une rupture avec le passé. Ils interviennent à un moment précis de l’histoire du parti. La nouvelle année pourrait donc représenter pour le FN ce nouveau départ. Fin janvier, dans le cadre d’un séminaire sur la prochaine présidentielle, le FN se réunit. Parmi les sujets à l’ordre du jour, le changement de nom du parti... sous-tendu par une condition : des alliances vers la droite. L'enjeu est là. Il s'agit de capter une clientèle politique non restreinte à l'extrême droite traditionnelle. Le FN s'est déjà prêté - non sans succès - à cette stratégie liée à la dédiabolisation du parti.

Un FN en demi teinte ?

Les premiers pas datent de 2012. Mi-janvier, Louis Aliot dépose le nom « Alliance pour un rassemblement national » à l’INPI (Institut national de la propriété industrielle). Huit mois plus tard, la naissance du RBM ne doit pas être perçue, simplement, comme la concrétisation d’une énième étiquette électorale. Elle représente, avant tout, une étape de transition. Comme le stipule l’article 2 de ses statuts (19 septembre 2012), l’objectif du RBM est de « rassembler l’ensemble des patriotes attachés à la souveraineté du peuple français et au respect des valeurs de la République française. Peuvent y adhérer des personnes physiques ou morales, ainsi que des partis ou groupements politiques ».

Début avril 2015, Joffrey Bollée dépose le nom « Les Patriotes ». Il justifie sa démarche dans un Tweet (5 mai 2015). « Bcp d'agitation pour rien. Le nom Les Patriotes n'a été déposé que pour protéger un nom que l'on utilise déjà ». Le directeur de cabinet de Florian Philippot se réfère à la dénomination du réseau social militant du FN. Un nom - et deux lettres LP - envisagés pour se substituer à celui du FN.

Aujourd’hui, plusieurs cadres et élus du FN et/ou du RBM ou proche du parti d’extrême droite soutiennent plus ou moins ouvertement cette hypothèse en train de devenir réalité. Robert Ménard, élu avec le soutien du FN, envisage de réunir à Béziers, dans quelques mois, certaines personnalité de droite. Son objectif ? Créer une dynamique des droites autour de Marine Le Pen pour 2017. Pour le maire de Béziers, une nouvelle dénomination serait un « symbole très fort d'ouverture du parti ».

"Abandonner le nom du Front national serait criminel"

Le FN s'apprête-t-il à tourner une page de son histoire ? La dernière phase, c’est-à-dire la mise au ban de Jean-Marie Le Pen, dépositaire de la marque depuis 1972, est actée pour nombre de cadres du FN. Mais l'ancien président du FN ne compte pas s'arrêter là. C'est comme un dernier avertissement. Jean-Marie Le Pen ne cesse de le répéter depuis un bon moment. Il souhaite « agir à l’intérieur du Front ». Et si ce n'est pas le cas, il fera « quelque chose d’autre, quelque chose d’adjacent ». Il poursuit en dessinant les contours de son éventuelle formation politique, une « force autonome, indépendante, qui ne s’interdit pas d’ailleurs de négocier avec le FN ou avec toute autre organisation pour créer les conditions d’une victoire nationale en 2017 ».

Dans Rivarol, l'homme politique revient sur ce qu'il considère comme la condition sine qua non de cette victoire : « l’unité au sein de son mouvement ». Il poursuit : « Si par maladresse je n’étais pas réintégré au FN, Marine Le Pen n’a aucune chance de gagner. Parce que mon influence affective reste forte dans le mouvement, et surtout dans l’appareil militant ». De tels propos entrent en résonance avec une certaine histoire, celle de la scission mégrétiste à la fin des années 1990. Nombre de personnes rencontrées, qui ont côtoyé de nombreuses années Jean-Marie Le Pen, mettent en avant ce facteur - certes distinct du jeu politique - mais qui aurait influencé le dénouement de la scission : l’émotionnel, un paramètre important pour la compréhension de cet épisode de rupture. L'ancien cadre du FN Franck Timmermans revient sur cet aspect de la personnalité de Jean-Marie Le Pen, sa relation particulière avec les militants : « Ce que Le Pen ne comprend pas, au moment de la scission, c’est comment on peut s’arracher à son affection de la sorte. Comment autant de gens pouvaient s’en aller. Le Pen avait tissé comme tout monarque un certain nombre de cordons ombilicaux. Comment pouvait-on le quitter, lui, pour un type comme Mégret aux antipodes des canons tribuniciens ? (...) Ça a été l’incompréhension totale. On a surpris Le Pen appelant des militants de base, se faisant passer pour quelqu’un d’autre pour comprendre et pour tenter de les raccrocher. On sentait qu’il y avait un vrai désarroi. Jean-Marie Le Pen est un homme très affable, attachant. Il est un caméléon extraordinaire sur le plan affectif. Dans sa vie se sont produits une succession d’amours, de ruptures violentes et puis de rabibochages ».

L'année 2016 n'a pas encore commencé. En ce qui concerne l'histoire du FN, elle pourrait bien s'annoncée pleine de rebondissements.