La faute à qui ?

Couverture de Libération du 18 juin 1984, lendemain des élections européennes.

Le Front national pourrait, pour la première fois de son histoire, remporter une, voire plusieurs régions... et poursuivre son ascension électorale, enclenchée à la présidentielle de 2012.

Pour Manuel Valls, le FN ne « peut pas être la solution ». Le Premier ministre affirme qu'il faut « tout faire » pour éviter que le parti d'extrême droite ne remporte des régions... qualifiant de « drame » cette éventualité et sous-entendant la mise en place d'un Front républicain pour le second tour. Une position qui est loin de faire l'unanimité à droite comme à gauche.

La droite adopte la même réthorique sur une partie du positionnement de Maunuel Valls... du moins, pour les premiers mots. Récemment, Valérie Pécresse expliquait que la victoire du FN dans une région serait « une catastrophe pour le pays » tout en continuant ainsi : « la seule chance pour le Parti socialiste de s’en sortir dans cette élection régionale, c’est de faire monter le Front national ». La tête de liste de Les Républicains-UDI-MoDem aux élections régionales en Île-de-France n'est pas la seule à accuser le gouvernement « de faire monter le FN » pour « zapper l'alternance réelle » que la droite française représenterait. Elle insiste sur un autre point : la focalisation du PS sur le FN : « Ils ne parlent que du Front national, ils installent le Front national comme le seul interlocuteur et comme le régulateur de cette élection ».

Le Parti socialiste fait-il le jeu du Front national ? De nouveau, l’exécutif se voit accusé de faire « monter » le FN à l’approche des prochaines élections. Des propos qui - loin d'être minoritaires à droite - ont pris forme en 1984, au moment des premiers succès électoraux du FN.

FN fort = droite divisée ?

C'est à l'issue des Européennes de juin 1984 que la question est formulée à voix haute : le gouvernement de François Mitterrand favorise-t-il la poussée du FN pour diviser et affaiblir la droite ? Le combat antifasciste, notamment avec la création de SOS Racisme en octobre 1984, ne serait-il pas un moyen de fédérer la gauche dans son rejet du FN ? Au début des années quatre-vingt, Pierre Bérégovoy, secrétaire général de l’Élysée, émet ce commentaire, révélateur de la stratégie politique de son parti à l’égard du FN : « On a tout intérêt à pousser le Front national, il rend la droite inéligible. Plus il sera fort, plus on sera imbattables. C’est la chance historique des socialistes ».

De l’avis de Jean-Marie Le Pen, les socialistes créent le « mythe de la menace fasciste » en fabriquant des structures pour le combattre. La politique mitterrandienne déclenche à gauche une « stratégie de diabolisation = la stratégie dite “du Front fort” – qui vise à empêcher que les deux morceaux de la droite ne se ressoudent » continue le président du FN qui y perçoit bien une « machine de guerre politique » socialiste. Le but et le résultats de ce calcul politique des socialistes seraient donc transparents : déstabiliser la droite en faisant du Front national une force politique d’envergure.

Les positions de la droite et de l'extrême droite mettent en place une sorte de roman des origines du FN (et de la suite de son histoire) en omettant des aspects essentiels, expliquant son installation durable dans le paysage politique français. Hier comme aujourd'hui, les causes de l'évolution du Front national sont à chercher, certes, dans certains positionnements et renoncements de ses adversaires politiques. Mais elles sont surtout la résultante de plusieurs facteurs liés à son histoire interne, ses marqueurs idéologiques, ses représentants, etc. et à un contexte politique, économique et social précis. La gauche a déçu une partie de son électorat qui s'en est détourné... tout comme la droite française. Aujourd'hui plus que jamais, les électeurs du FN perçoivent dans le programme du parti lepéniste, fondé sur le binôme « immigration et insécurité », une réponse à certaines de leurs attentes et inquiétudes.

De son côté, le Front national affirme ne pas avoir eu besoin de ses adversaires politiques pour se construire et exister. Son ascension politique proviendrait-elle exclusivement de sa capacité à rassembler ? Une précision tout de même : à partir des années 1980, la communication du FN passe davantage par les contre-manifestations. Annoncées par le biais d'affiches, de communiqués, ces rassemblements d'opposants politiques font souvent connaître les dates des réunions publiques du parti lepéniste. La médiatisation du parti n'est pas en reste. Autrement dit, explique le conseiller en communication du FN, Lorrain de Saint Affrique, Jean-Marie Le Pen « en a tiré très vite des conclusions (...) dans sa stratégie future : ce sont les forces adverses qui (le) font avancer ».