"Racailles" : de l'ex-UMP au FN

Tract du FN de Seine-Saint-Denis

Ça fait dix ans. Le 25 octobre 2005, Nicolas Sarkozy se trouve à Argenteuil et interpelle les habitants, devant caméras, avec ces mots : « Vous en avez assez de cette bande de racailles. On va vous en débarrasser. » Début mars 2007, il annonce la création d’un ministère de l’Immigration et de l’Identité nationale. « Immigration » et « identité nationale » : non seulement les termes choisis appartiennent au vocabulaire de l'extrême droite. De plus, en les combinant, il fait entendre que l’immigration constitue une menace pour l’identité nationale.

Justement, ce « coup » d’Argenteuil, le FN le considère comme un empiétement sur son domaine réservé. Dans le cadre de la présidentielle de 2007, Jean-Marie Le Pen se rend précisément dans ces « territoires abandonnés par la classe politique française pour rétablir la vérité ». Sa directrice de campagne est Marine Le Pen. FN et banlieues : est-ce compatible ? Pour Jean-Marie Le Pen, c'est un échec. Aujourd'hui, le FN réinvestit ces territoires poursuivant son ripolinage sémantique.

Le FN part à la conquête des banlieues

Comme Nicolas Sarkozy, Jean-Marie Le Pen choisit le quartier du Val d’Argent, à Argenteuil, pour s'adresser à ces jeunes issus de l’immigration, ces « Français à part entière » qui doivent « contribuer au redressement de la République par le travail, seul facteur de réussite sociale et économique ». Voici ce que le président du FN leur dit au printemps 2007. Voici, plutôt, comment il répond à l'ancien Ministre de l'Intérieur :

« Le mot beur est déjà un mot qui rejette l’assimilation, il vous a été imposé par la pensée unique. Vous êtes les branches de l’arbre France, vous êtes des Français à part entière. Si certains veulent vous karchériser pour vous exclure, nous voulons, nous, vous aider à sortir de ces ghettos de banlieue où les politiciens français vous ont parqués pour vous traiter de racaille par la suite. (...) Vous êtes des citoyens français, des enfants légitimes de la France faisant partie de notre République. Vous avez les mêmes droits et devoirs comme nous tous, comme la préférence nationale car seuls vous pouvez comprendre pourquoi il est urgent de l’appliquer. Vous êtes les victimes de ce système qui ne contrôle plus rien, en laissant de manière anarchique pourrir les situations les plus délicates. Vous devez contribuer au redressement de la République par le travail, seul facteur de réussite sociale et économique. »

L'affiche « Ils ont tout cassé ! », éditée pour la présidentielle de 2007, est emblématique. Elle présente ce nouveau visage du FN, prônant une immigration assimilée. Ce n'est pas le slogan qui fait scandale au sein du FN. C'est, avant tout, le modèle - une jeune fille métisse - et sa tenue. L'affiche est rapidement retirée.

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Le 22 avril 2007, Jean-Marie Le Pen rassemble sur son nom 10,44 % des voix au premier tour de l’élection présidentielle. Il perd près d’un million de voix par rapport à 2002 dans l’ensemble des régions, excepté la Corse. Le 6 mai, Nicolas Sarkozy est élu Président de la République.

La campagne de 2007 est un échec. Elle n’a pas fonctionné car l’appareil ne s’y est pas reconnu. Marine Le Pen voulait faire une « campagne sociale, communautariste, à gauche, tournée vers les banlieues » rapporte un ancien cadre du FN. Et Nicolas Sarkozy a bâti la sienne sur les « thèmes phares du FN. Le discours lepéniste s’est fondu dans celui du futur président de la République. Seul Jean-Marie Le Pen avait trouvé un puits de pétrole électoral : l’identité nationale. Sarkozy nous l’a siphonné » rapporte l’ex-cadre du FN Jean-Claude Martinez. Le FN doit reprendre la « maîtrise du terrain politique sur ses fondamentaux. On ne peut plus laisser Sarkozy gambader sur le terrain de l’identité nationale », rajoute alors Carl Lang.

« Musulmans peut-être mais Français d'abord »

Moins d'une décennie plus tard, le FN lance ce nouveau collectif : Banlieues Patriotes, un  « projet à l’avant-garde de la réconciliation entre la République et ses Banlieues et de la reconquête des zones de non-droit » explique Jordan Bardella. Tête de liste en Seine-Saint-Denis aux régionales, secrétaire départemental du FN du 93 (le « fer du lance du projet »), le jeune homme âgé de 20 ans sera à la tête de cet énième collectif FN. « Nous voulons montrer que le Front national peut aussi se positionner sur les oubliés des banlieues », continue-t-il. Il s’agit de « déconstruire le mythe de l'opposition FN/Banlieues, et notre discours est attrayant dans ces quartiers ». 

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L’électorat visé : celui des quartiers sensibles.

Le message transmis : le FN n'est pas raciste.

Et un rappel : il y a quelques jours, Marine Le Pen comparaissait à Lyon, devant le Tribunal correctionnel, pour « provocation à la discrimination, à la violence ou à la haine envers un groupe de personnes à raison de leur appartenance à une religion ». Elle vise ses propos tenus à Lyon, en décembre 2010, qui condamnaient les prières de rue des musulmans, comparées par la présidente du FN à une « occupation ». De nouveau, la présidente du FN réaffirmait la ligne politique de son parti, fondée sur le rejet de l’islam, assimilé en tant que culture et religion à un danger.

La boucle est-elle bouclée ? Le tract du FN 93 réinvestit une sorte de sémantique identificatoire depuis son utilisation par Nicolas Sarkozy, en octobre 2005. Pour la prochaine présidentielle, le parti de Marine Le Pen ne veut surtout pas se laisser déborder sur son terrain, sur ses fondamentaux. Alors, dans le cadre de sa campagne, il ne fait pas que placer ses marqueurs idéologiques au centre de sa propagande. Il s'approprie certains termes utilisés par ses ennemis politiques qui, aujourd'hui encore, résonnent toujours chez ceux qui les ont entendus, à Argenteuil et ailleurs. Ceci, dix ans après les émeutes qui ont touché les banlieues françaises... aujourd'hui, visées par le FN.