« Le Collectif Culture soutient sans réserve les Français qui usent de leurs libertés d’expression et d’opinion, et se réjouit que des présentateurs de Canal + parviennent enfin à sortir de l’habituelle dialectique de comic books américains utilisée dans les médias, lorsqu’ils abordent le Front National. Assez de ces émissions qui présentent le Front National en "super vilain" de la vie politique française, quand ce parti ne fait que dire la vérité sur la situation du pays ! »
Ces quelques lignes reviennent sur les propos de Maïtena Biraben qui, ce 24 septembre au cours du « Grand Journal » de Canal +, évoquait le discours « de vérité » du FN dans lequel, selon elle, les « Français se reconnaissent ». Elles mettent, également, en avant le Collectif FN Culture, Libertés, Création – CLIC – créé en juin 2015 avec, à sa tête, l’ancien secrétaire national de l'UMP et cofondateur de GayLib Sébastien Chenu.
FN et culture : deux termes antinomiques ? Depuis qu'il existe, le FN a toujours eu un rapport singulier à la culture... D'ailleurs, la création du CLIC pourrait s’inscrire dans l’histoire des premières années du Front national. Elle montre la volonté et la stratégie pérennes du parti de vouloir, non seulement, s'afficher comme une formation politique et organisation intellectuelle respectables mais aussi, corollaire oblige, de rallier, dans ses rangs, des intellectuels dignes de ce nom, garants de cette crédibilité... et visibilité dans la perspective de 2017.
Une aspiration précoce
À partir de 1975, soit trois ans après la naissance du Front national, des journées littéraires de vente et de dédicaces sont organisées par le parti d'extrême droite. Écrivains et penseurs de la mouvance présentent leurs ouvrages dans les locaux du FN. L’ensemble de « l’opposition nationale se retrouve alors autour du FN pour s’opposer à la “culture” et à l’intelligentsia gauchisantes ». Parmi les auteurs les plus représentatifs, pour certains connus pour leur engagement dans la Collaboration pendant la Seconde Guerre mondiale, Jacques Ploncard d’Assac, Saint Loup (de son vrai nom Marc Augier), Maurice Bardèche, Henry Coston, Jean Mabire et Pierre Gripari. Les « auteurs emblématiques » comme Jean-François Chiappe et François Duprat sont, eux, invités à la télévision « à venir parler de l’histoire, la vraie, ripostant ainsi à la désinformation et à la politisation de l’enseignement ».
Au milieu des années 1980, le FN créé des structures spécifiques, sorte de clubs de réflexion « à l’écoute des Français. Au sein de leur profession, de leur milieu ou en fonction de leurs centres d’intérêt, ils diffusent également le message du Mouvement national ». Parmi les anciens combattants, femmes, chômeurs… sont visés les intellectuels. L’objectif ? Le FN cherche à s’ouvrir à d’autres horizons, en proposant des thèmes d’accroche différents pour élargir son électorat. La création de ces nouvelles structures entend, notamment, proposer un substrat intellectuel et socio-professionnel.
Un travail de fond sur les idées
Fin des années 1980 : le Front national veut s’imposer comme la troisième force dans le paysage politique français. Bruno Mégret concrétise cette stratégie qui repose sur une certitude : si le FN veut parvenir au pouvoir, il doit évoluer et changer d’image. Sur ce point, Bruno Mégret s’inspire du théoricien marxiste italien Antonio Gramsci pour qui la conquête de la culture, la bataille des idées, précède celle du pouvoir politique.
La création du Conseil scientifique (CS) s’intègre dans la stratégie mégrétiste. Une note interne décrit sa composition : un « aréopage d’universitaires et de personnalités de haute compétence, qui acceptent de s’engager au côté du FN afin d’éclairer son président Jean-Marie Le Pen et sa direction sur les grandes questions de société ainsi que sur les problèmes économiques et sociaux ». Le CS organise des colloques, publie des rapports, des enquêtes voulant montrer que le FN est « une force intellectuelle capable d’apporter sa contribution aux grands débats du moment ». Avec cette nouvelle organisation, le FN veut se donner une légitimité intellectuelle qu’elle puise dans le milieu universitaire. Le CS met d’ailleurs en avant les noms et les fonctions de certains contributeurs. Sa constitution, révélée par le journaliste Edwy Plenel (Le Monde, 30 mars 1990), montre la présence de chercheurs et d’universitaires, connus davantage pour leurs travaux que pour leurs engagements politiques. Occupée quelques mois par le sociologue Jules Monnerot, la présidence du CS revient ensuite à Jacques Robichez, professeur honoraire de littérature à la Sorbonne. Candidat en quinzième position sur la liste FN dans le VIIème arrondissement de Paris aux municipales de mars 1989, l’universitaire a aussi été le président du jury de thèse du négationniste français Robert Faurisson.
1995 voit trois municipalités frontistes – Orange, Toulon et Marignane – et Vitrolles en 1997 à l’épreuve du pouvoir local. Le FN en ses mairies : la démolition de la culture ? Leur optique et mise en pratique d'une culture axée, comme l'est le parti, sur le concept de « préférence nationale » - notamment par un « rééquilibrage » des fonds des bibliothèques - montrent la difficulté pour le Front national d'intégrer ce marqueur dans l'idéologie frontiste.
Une nouvelle « culture » frontiste ?
Une vingtaine d’années plus tard, le FN réinvestit ce domaine. Les villes FN entendent elles aussi se distinguer, non seulement, des gestions municipales des années 1990 mais, également, apporter du nouveau sur cette culture que leurs représentants prétendent incarner. À Beaucaire, par exemple, Julien Sanchez a très vite baissé la subvention du centre social et culturel. Fabien Engelmann a demandé, lui, aux services municipaux de repeindre, sans l'accord de l'artiste (et de déplacer) la sculpture d'Alain Mila - l’œuf - en bleu pour « redonner un peu de gaîté » à la ville. D'autres exemples exposent l'appréhension et la vision culturelles du FN.
L'appel récent de Bertrand Dutheil de La Rochère « Aux intellectuels de gauche qui se veulent toujours de gauche » doit être considéré comme la suite logique de l'histoire. Le FN n'entend-il pas aujourd'hui représenter une nouvelle gauche française ? Certes, le bras droit de Florian Philippot vise la réunion du 20 octobre prochain, organisée par l’hebdomadaire Marianne autour de Michel Onfray. Mais à plus long terme, son appel répond à cette « mue » affichée du FN : « Vous vous situez dans la longue tradition des intellectuels français qui ont préfiguré les grands mouvements historiques de la nation. Il a toujours fallu que les aspirations qui s’y exprimaient se traduisent sur le terrain politique. Votre démarche a aussi besoin d’un débouché. (…) Je connais vos préventions à l’égard du Front National et du Rassemblement Bleu Marine. Il ne s’agit pas de les rallier. Il s’agit de constituer un vaste mouvement dans lequel chacun doit conserver son entière liberté de pensée et d’organisation. (…) Peu importe d’où chacun d’entre nous vient, l’important est là où il veut aller. (…) Votre réunion (…) pourrait devenir une de ces dates décisives de l’histoire de France. Elle pourrait être le prélude à l’union du peuple de France. Il suffit que vous décidiez d’ouvrir une discussion entre tous les patriotes, tous les républicains, tous les souverainistes, sans exclusive. (…) Comme le disait un révolutionnaire qui n’a pas bonne presse à gauche : "De l’audace, encore de l’audace, et toujours de l’audace". Oui ! Ayez de l’audace, le peuple français vous en sera reconnaissant ».
En 2012, un sondage exposait cette réalité : ceux qui exercent des professions intellectuelles sont une minorité à voter FN. Sur ce point également, le FN souhaite que le rapport s'inverse. Jusqu’à présent, et même si les membres des collectifs ne sont pas obligatoirement adhérents au FN, ces structures restent, pour l'essentiel, des coquilles vides... Quelques dizaines de membres au sein du CLIC et quelques centaines revendiqués, par exemple, à Marianne désigné comme le « Porte-voix de la jeunesse patriote ».
Nous l'avons dit plusieurs fois : le FN lepéniste constitue l'ADN du parti de Marine Le Pen, notamment les années Mégret. La note interne « La stratégie du front national » de l’Institut de formation nationale (IFN) rend compte clairement d'un des objectifs du parti des années 1990, celui d'établir sa « crédibilité technique et intellectuelle » :
« Même si la compétence n’est pas un argument essentiel pour le grand public, il est capital pour les relais d’opinion. Il nous faut donc apporter progressivement la preuve de notre aptitude à exercer des responsabilités. Il faut aussi faire comprendre que nous avons une dimension intellectuelle et que si nous sommes un mouvement politique, nous sommes aussi un courant de pensée. Cette crédibilité doit se construire selon plusieurs paliers. Faire venir à nous et valoriser en direction de l’extérieur des personnalités de haut niveau reconnues pour leur compétence. Faire la preuve de notre aptitude à prendre position sur tous les problèmes, y compris sur des questions techniques. Montrer que nous sommes capables d’exercer avec succès des responsabilités de gestion notamment dans les collectivités territoriales. Placer sous l’égide du Front National des publications de haute tenue intellectuelle. (...) susciter le rayonnement du Front National. Le Front national doit briser son isolement. Il doit chercher à le faire en direction des milieux d’influence et des relais d’opinion, notamment les milieux intellectuels et universitaires, les milieux économiques et professionnels. Cette démarche doit se faire par une politique active de relations publiques au plus haut niveau. Elle doit se faire aussi par le développement, la structuration et une meilleure utilisation de tout le réseau de clubs, d’associations de toutes sortes, existant ou à créer à la périphérie du Front national. (...) L’objectif du Front national doit être clairement affiché : il est de prendre le pouvoir dans notre pays pour mettre en œuvre le projet de redressement national qui est le nôtre ».
Cette note reste aujourd'hui totalement d'actualité... à la virgule près.