Marine le Pen s’inscrit-elle dans la droite lignée paternelle ? C'est une première. La présidente du FN est renvoyée devant le Tribunal correctionnel de Lyon le 20 octobre - à deux mois des élections régionales - pour avoir comparé des prières de rue à l’occupation allemande. Ses propos datent de 2010. Elle les a réitérés, par la suite.
Le 10 décembre 2010, Marine Le Pen se trouve à une réunion publique à Lyon, c'est-à-dire sur les terres de Bruno Gollnisch. Elle dit ceci : « Maintenant il y a dix ou quinze endroits où, de manière régulière, un certain nombre de personnes viennent pour accaparer les territoires. Je suis désolée, mais pour ceux qui aiment beaucoup parler de la Seconde Guerre mondiale, s’il s’agit de parler d’occupation, on pourrait en parler, pour le coup, parce que ça c’est une occupation du territoire. C’est une occupation de pans du territoire, des quartiers dans lesquels la loi religieuse s’applique, c’est une occupation. Certes y’a pas de blindés, y’a pas de soldats, mais c’est une occupation tout de même et elle pèse sur les habitants ».
En condamnant les prières de rue des musulmans qu’elle compare à une « occupation », Marine Le Pen ne fait pas qu’adresser des signes aux partisans du lepéniste Bruno Gollnisch, en lice pour la présidence du parti d'extrême droite. Elle expose sa ligne politique, fondée sur le rejet de l’islam, assimilé en tant que culture et religion à un danger. À ce moment, elle se réapproprie une thématique laissée de côté par le FN depuis plus de vingt ans.
« Inch’Allah ! Dans vingt ans, c’est sûr, la France sera une république islamique »
C’est le premier support islamophobe du FN. En même temps, et c'est significatif, il n'est pas signé... Pas de flamme FN, ni de marque distinctive renvoyant au parti. Un autre, plus confidentiel (annonçant une réunion publique de Carl Lang et de Jean-Yves Le Gallou) suit.
En 1987, Jean-Pierre Stirbois imprime cette affiche anonyme sur laquelle se détachent ces quelques mots : « Inch’Allah ! Dans vingt ans, c’est sûr, la France sera une république islamique ». Elle est emblématique du glissement qu’est en train d’opérer le FN à la fin des années 1980 sur le sujet de l’immigration, plus précisément sur le thème de la « menace islamique ». Les Français, rapporte une publication interne du FN, découvrent que l’immigration a évolué. Ils assistent « aux premières tentatives orchestrées de colonisation, c’est-à-dire d’implantation en France de cultures étrangères autour de l’islam, devenue la deuxième religion du pays. L'ouverture de centres islamiques, la construction de mosquées, la volonté d'imposer le droit de vote des immigrés sont autant de projets allant dans ce sens, tous symbolisés par l'affaire du tchador (...) ».
Jusqu’en 2010, plus aucune affiche ne dénonçant l’islam ne sera éditée et diffusée par le Front national. Cette parenthèse d'une vingtaine d'années s’explique principalement par deux faits : l'analyse politique adoptée par Jean-Marie Le Pen après la première Guerre du Golfe (août 1990 - février 1991) et les années Mégret, suivies de la scission.
« Non à l’islamisme »
C’est un gain électoral potentiel. Marine Le Pen en est convaincue. À partir de mars 2010, la propagande du FN réinvestit le thème de l’islamisme. L’affiche « Non à l’islamisme » - diffusée par le FNJ lors des élections régionales de 2010 en PACA - suscite une demande d’interdiction. On y voit une femme portant le voile intégral. À côté d’elle est représentée la carte de France, recouverte du drapeau algérien, sur laquelle sont édifiés des minarets reprenant la forme d’un missile. Le message est clair : par ses marques distinctives, l’islam affiche sa volonté de ne pas vouloir s’assimiler.
Après les attentats du 11 Septembre, le FN ne sort aucune affiche contre l’islam. Pourquoi ne cherche-t-il pas à instrumentaliser les événements pour sa propagande ? La scission de 1998-1999 a conduit au départ des cadres « très hostiles au métissage » et a, sans aucun doute, modifié la donne. Une des différences fondamentales entre les stratégies mégrétiste et lepéniste se trouve certainement là.
La campagne de 2002 dénonce la « montée de l’islam, fédérateur de la majeure partie de la population immigrée, l’extension de la consommation des drogues et des pandémies (...), l’augmentation interrompue de l’insécurité (qui) sont autant de phénomènes qui participent à la décomposition, chaque année plus évidente, de la société française ». Cinq ans plus tard, pour la présidentielle de 2007, le FN ne réactive pas les mêmes marqueurs. Le parti de Jean-Marie Le Pen entend s’attirer des sympathies dans le monde arabe et dans certains milieux d’extrême gauche. Il affiche son « refus du communautarisme » et sa « réaffirmation du principe de laïcité ». D’un point de vue électoral, cette stratégie politique se révèle contre-productive. Ce sera le plus mauvais résultat de Jean-Marie Le Pen depuis l'émergence du FN : 10,44% des voix. Marine Le Pen est sa directrice de campagne.
Avant son accession à la présidence du FN, Marine Le Pen fait de la lutte contre l’islamisation et de la défense de la laïcité les articulations de son discours. Son message se résume à ce double thème : le danger islamiste s’oppose aux valeurs laïques véhiculées par la démocratie, fondements de la République française ; la stigmatisation des musulmans faisant de l’islam et de la République deux entités incompatibles. Si elle rompt sur ce point avec le lepénisme, la présidente du FN s'inscrit dans la filiation paternelle sur un autre. Depuis quelques semaines, et encore davantage avec la crise des réfugiés, Marine Le Pen radicalise son discours, inscrivant ses propos dans la sémantique frontiste. Surtout, lors de l'audience d'octobre (où elle assure être présente), la présidente du FN va être jugée pour son intervention du 10 décembre. Et là, incontestablement et même si elle s'en défend, elle renoue avec une des thématiques privilégiées du père : celle de la Seconde Guerre mondiale.