Le FN, les sportifs (automobiles) et les autres : une longue histoire ?

Jean-Marie Le Pen avec Yann Cadoret (11 décembre 1983).

 

« Pour être candidat en Provence-Alpes-Côte d’Azur (PACA), mieux vaut aimer les sports mécaniques », écrit Abel Mestre dans Le Monde. C’est une « figure du sport automobile. Au volant de sa F1 lors de 134 courses entre 1970 et 1985, surnommé ‘’godasses de plomb’’, il a décroché trois pole positions et a figuré sur trois podiums » continue le journaliste. L'information vient de tomber : Jean-Pierre Jarier, l’ex-pilote de F1 dans l’écurie de Marion Maréchal-Le Pen.

Ce vendredi 18 septembre, dans l'après-midi, au Castellet, Marion Maréchal Le Pen devait annoncer un « ralliement important dans le milieu du sport ». Au FN, on avait déjà attribué une fonction à Jean-Pierre Jarier  : celle de conseiller en matière de sécurité routière. Mais l’annonce semble avoir été précipitée : le principal intéressé dément formellement sa venue sur la liste de Marion Maréchal Le Pen pour les régionales de décembre 2015. Il dit même être à « mille lieux des idées de ce parti ». Dans Nice Matin, il raconte l'histoire : « le maire de Cogolin Marc-Etienne Lansade (FN) m'a juste demandé si je serais heureux de pouvoir travailler à la prévention routière pour la Région, comme je le fais déjà bénévolement à Cogolin et comme je l'ai fait une bonne partie de ma carrière ailleurs. Est-ce que j'ai été piégé ? Je ne sais pas, nous nous sommes mal compris, c'est sûr. Je vais demander des explications ».

Surprenant ?  Pas vraiment... Cet épisode met en évidence deux aspects de l'histoire du Front national :

  • l'avidité du FN pour recruter en dehors du cercle de l'extrême droite traditionnelle. Certes, les politiques sont les premiers visés. Le tout récent transfuge de Franck Allisio, l'ancien Président des Jeunes Actifs des Républicains, en est un exemple frappant... Mais ils ne sont pas les seuls.
  • une des stratégies de communication pérennes du FN : s’afficher avec des hommes étrangers à la politique. Acteurs, sportifs, écrivains et, pourquoi pas, artistes, intellectuels… Le FN tente aujourd’hui, et plus que jamais, de vouloir faire jeu égal avec ses concurrents sur ce point. Il s’agit de montrer l’image d’un parti rassembleur au-delà du champ politique... dans des sphères porteuses pour l’opinion publique.

Ce n’est donc pas une première dans l’histoire du Front national. Son grand-père l’a fait avant elle tout comme sa tante. Jean-Marie Le Pen est, lui aussi, allé chercher un homme du cru lors d’une législative partielle de 1983 dans Le Morbihan ;  un ancien champion de France de moto. Le sportif, handicapé, en avait terminé avec sa première carrière, suite à un accident. Jean-Marie Le Pen n’a cessé de le mettre en avant et de s’afficher à ses côtés.

« Plus on me connaît, plus on m’aime bien »

Ces quelques mots de Jean-Marie Le Pen sont dits peu après qu'il ait pris connaissance des résultats électoraux. Nous sommes en décembre 1983. Le président du FN est sur le terrain avec Jean-Marie Le Chevalier, son nouveau directeur de Cabinet. Ancien giscardien, responsable des républicains indépendants de Bretagne, ancien directeur de cabinet de Jacques Dominati, cet homme fait justement parti des nouvelles recrues du FN. Il revêt la stature d’« homme respectable qui peut prendre des contacts sans être qualifié d’activiste d’extrême droite », me disait un ancien du FN lors d'un entretien en 2013.

Les deux hommes font une campagne « très forte ». Jean-Marie Le Pen est « chez lui ». Une large part des habitants des 39 villages sont contactés par téléphone. La presse est mobilisée pour cette élection législative partielle. Pourquoi ? La première raison tient au contexte politique. Nous sommes peu après l’élection municipale partielle de Dreux. Au premier tour, la liste FN a obtenu 16,72 % des voix. Pour le second tour, elle s’est alliée avec celle de droite. Avec plus de 55 %, elle a obtenu 31 élus. Le secrétaire général du FN, Jean-Pierre Stirbois, est le troisième adjoint au maire de Dreux.

La seconde raison tient à la personnalité du suppléant du président du FN : Yann Cadoret. Un homme, rapporte Jean-Marie Le Pen, doté d’un « dynamisme extraordinaire, champion de France de moto et paraplégique ». La percée du FN s’accompagne, certes, d’un recrutement de cadres, processus indispensable pour construire l’appareil... mais pas seulement. Dans sa vie d’homme politique, l’ancien président du FN tente, plusieurs fois, de s’afficher avec les hommes et femmes de divers univers, étrangers à la politique. Certains échanges, parfois de quelques secondes, sont immortalisés dans les albums hagiographiques de Jean-Marie Le Pen (donc diffusés en interne) pour exposer, justement, ce qu'il qualifie de « parcours jalonné de rencontres ».

prost

Cette photo, publiée dans Le Pen en 2001, est assortie de la légende suivante : « Au départ du Championnat de France de formule 1, en compagnie d'Alain Prost qu'on ne présente plus. Deux fortes personnalités et une estime mutuelle qui, aujourd'hui encore, continue à ne pas se démentir ».

Revendiquer sa normalité

En décembre 1983, le président du FN obtient 12,02 % des voix à Auray. Dans sa ville natale, la Trinité-sur-Mer, il en rassemble 58 %. C’est lors de cette campagne qu'il déclare notamment : « Demain, les immigrés s’installeront chez vous, mangeront votre soupe et coucheront avec votre femme, votre fille ou votre fils ». Comme son père, Marine Le Pen axe son discours sur la thématique anti-immigrée tout en revendiquant sa normalité dans l’espace publique et politique français. Il s’agit de trouver un point d’équilibre... entre un FN aspirant à se normaliser tout en se démarquant des principales formations politiques.

L'histoire ancienne et récente du FN souligne cette permanence : depuis le début des années quatre-vingts, la stratégie de recrutement s’inscrit dans une dualité : ramener en son sein, sous une autre étiquette que celle du parti originel, des personnes issues de divers milieux, courants de pensées et formations politiques. Aujourd'hui comme hier, le Front national accueille à bras ouverts ou, plutôt, démarche auprès de ces hommes et femmes qui pourraient participer à l'entreprise de ripolinage du FN. Pour certains, leur itinéraire politique leur sert de caution. Pour d'autres, comme Jean-Pierre Jarier, c'est leur passé d'homme sportif. Car un autre aspect est central dans ces éventuels nouveaux représentants du FN. Pour la majorité d'entre eux, le parti de Marine Le Pen leur donne une autre et nouvelle visibilité ; une possibilité d' « ascension » qu'elle soit politique et/ou médiatique.