Jean-Marie Le Pen peut afficher sa satisfaction. Ne vient-il pas de remporter deux victoires en une petite semaine avec l'annulation de sa suspension du FN et celle de l’AGE (assemblée générale extraordinaire) ? Le résultat de ce vote par correspondance, appelant notamment à la suppression de la présidence d'honneur, devait se clore le 10 juillet.
Aujourd'hui, l'ancien président du FN est donc bien adhérent du parti et préserve son titre. D'ailleurs, le FN devrait organiser une « assemblée générale physique », un congrès, selon la demande de l'ancien président du FN. Nous n'en sommes pas encore là. Le FN fait appel de la décision judiciaire.
Marine Le Pen et son entourage affichaient peu d'inquiétude quand à l'issue du vote des adhérents du FN et avaient quasiment tourné la page Le Pen père. C’est donc incontestablement un échec pour le FN qui pensait pouvoir se débarrasser d'un homme - qui a été président pendant 40 ans - en quelques semaines… et aborder la campagne des élections régionales sans lui. Ces deux décisions judiciaires donnent un coup d’arrêt momentané à la stratégie mise en œuvre par le FN depuis plusieurs années et précipitée ces derniers temps : nettoyer le parti des lepénistes et prétendre offrir un autre FN, en vue de la présidentielle de 2017.
La réponse du FN, un communiqué daté du 8 juillet, souligne un aspect principal. Outre qu’il informe sur le nombre exact d’adhérents à jour de cotisation - 51 551 – et qu'il utilise abondemment une sémantique liée à la notion de démocratie, il se réapproprie un argument phare du mégrétisme qui nous replonge dans l’histoire du parti d’extrême droite.
« Quand Le Pen devient l'allié du système »
« La justice semble dépenser beaucoup d’énergie à conserver à Jean Marie LE PEN sa capacité de nuire au Front National, faisant fi du comportement et des propos tenus par ce dernier… ». Cette phrase peut être mieux comprise si l'on revient une quinzaine d'années en arrière. Analyse et retour en 1999.
En mai, le TGI de Paris déclare illégal le congrès de Marignane à l'origine du parti de Bruno Mégret et reconnaît Jean-Marie Le Pen comme le seul détenteur du titre, du logo et du sigle du parti. La conséquence immédiate est le versement de la dotation publique, jusqu’alors bloquée, au président du FN. À moyen terme, Bruno Mégret sait que son parti est quasiment mort-né.
Une fois mise à jour et adaptée aux protagonistes, son analyse pourrait bien rejoindre celle des actuels dirigeants du FN. La voici : le fait que la justice française donne raison à Jean-Marie Le Pen montrerait que celui-ci est « protégé » par le système. Pourquoi ? Mieux vaut conserver un Le Pen diabolisé, à la tête d’un parti politique sans avenir, qu’un Mégret capable de bouleverser l’espace politique à droite. Avec Jean-Marie Le Pen, il n’existe aucune possibilité d’accession au pouvoir pour le FN. Il faut donc le préserver, il se révèle utile au système. Bruno Mégret, en revanche, a la volonté de mener son parti au pouvoir. Il est donc plus dangereux.
Lors d'un entretien qu'il m'accorde en juillet 2013, l'ancien numéro deux du FN poursuit : « Le Pen servait, même sans le vouloir, les intérêts des deux partis dominants. Pour le PS, il fallait que le FN reste diabolisé par Le Pen pour gêner le RPR lors des élections. Pour le RPR, il était préférable que le FN soit limité électoralement grâce à Le Pen de façon à ne pas trop empiéter sur son espace. Il s’est donc opéré une forme de consensus, le PS et le RPR souhaitant que le FN reste dirigé par Le Pen. Avec moi à la tête du mouvement, les choses auraient été différentes. J’étais plus dangereux pour le RPR car j’aurais pu déstabiliser le parti de l’intérieur, à la fois en récupérant des électeurs et en pratiquant une politique de la main tendue. J’aurais ainsi mis en cause le système du Front républicain tel qu’il se pratiquait. J’étais plus dangereux aussi pour le PS car j’aurais pu dédiaboliser le mouvement et passer des accords avec le RPR. Il s’est donc constitué pendant la scission un front uni pour s’assurer de l’issue souhaitée. La justice a alors tranché avec une extrême célérité la question de savoir qui pouvait utiliser le sigle FN ».
Jean-Marie Le Pen est-il l’allié objectif du système ? C'est une thèse qui prend forme lors de l'émergence du FN au début des années quatre-vingt. Pour certains, le verdict de 1999 du TGI la confirme. Aujourd'hui, elle pourrait être remise à l'honneur.
En voulant éliminer aussi rapidement l'ancien président du FN, le parti a fait preuve d'un certain amateurisme tant sur le fond que sur la forme. Jean-Marie Le Pen, lui, gagne du temps ; un facteur essentiel pour les mois à venir, notamment la rentrée politique de septembre et les élections régionales trois mois plus tard. Comme dans chaque crise traversée par le parti, les adhérents et militants y assistent impuissants. L'histoire du FN rend compte d'une autre permanence : à plusieurs reprises, notamment en 1973 et 1999, Jean-Marie Le Pen saisit la justice alors qu'ils se trouvent, lui et son parti, dans une impasse politique. Et il obtient gain de cause.