Fin mai, une trentaine de militants FN sont passés en commission de discipline pour la teneur de leurs propos, laissés notamment sur les réseaux sociaux. La plupart était candidats aux départementales. Marine Le Pen affirme être « en total désaccord avec ces gens-là ». Et de poursuivre : « Je les suspends, je les convoque devant la commission des disciplines systématiquement, et ils sont en règle générale exclus du Front national ».
Le verdict est attendu dans les jours qui viennent : à priori, une quinzaine d’exclusions, quelques suspensions et blâmes… prononcés par la Commission de discipline du FN. Cette structure est un des rouages essentiels du parti. Placée directement sous la responsabilité de la présidente du FN, elle n'apparaît pas dans l'organigramme du Front national comme le Bureau Politique, le Bureau exécutif, le Comité central ou, encore, la Commission d'investiture. Son histoire et son fonctionnement restent méconnus. En voici un aperçu.
Une structure officieuse...
Officiellement, sa formation date du milieu des années 1990. Elle existe bien avant. Simplement, elle n’a pas de forme officielle. Les cadres du FN savent que tout manquement à la discipline du parti peut nécessiter la traduction du fautif devant une commission de discipline convoquée ad hoc.
Pendant la première décennie (1972-1981), le FN a, explique un ancien cadre du parti, bien « d’autres préoccupations ». Vu le faible nombre de militants, le Bureau Politique se charge des rares litiges à trancher. Par exemple, le cas d’un Secrétaire départemental qui n’obéit pas aux consignes ou, tout simplement, un désistement pour une élection. À l’époque, « militants et cadres sont plus disciplinés qu’aujourd’hui », rajoute ce témoin.
Un embryon de commission voit le jour au début des années quatre-vingt, au moment où le FN connaît ses premiers succès électoraux. C’est une initiative conjointe de Jean-Marie Le Pen, du Secrétaire général Jean-Pierre Stirbois et de Carl Lang, le patron du Front national de la Jeunesse. La Commission de discipline - qui ne porte pas encore son nom - reste davantage une sorte de service, rattaché au parti.
La structure se concrétise fin 1988. Carl Lang, alors Secrétaire général du FN et grand ami d’Yves de Verdilhac, propose que ce dernier la préside. Cet ancien magistrat et Chevalier de la légion d’honneur a adhéré au FN au début des années 1980. Il est davantage connu sous le nom de Serge Dalens, l’écrivain, le « père » du Prince Éric.
... qui voit le jour en 1995
Sept ans plus tard, la Commission de discipline revêt une existence juridique. Le FN prend de l’importance. Aussi, en prévision du Congrès de Strasbourg (29-31 mars 1995), le parti d’extrême droite se penche sur quelques aspects de son parti qui méritent d’être écrits noir sur blanc dans les statuts. Pour la première fois, un article lui est consacré parmi les 32 des statuts du FN de 1995. Il stipule : « Une commission de Discipline est instituée. Sa composition, sa compétence, et ses règles de fonctionnement font l’objet d’un règlement intérieur spécial ». En vue de sa constitution, Jean-Marie Le Pen a insisté sur deux faits : la Commission de discipline doit être souveraine et ne peut être contestée par les voies judiciaires.
Elle est composée d’une quinzaine de membres. Neuf d’entre eux doivent être présents lorsqu’elle se réunit au siège du FN. Cette instance statue sur les cas difficiles (comme, par exemple, la mise en cause de cadres) qui ne relèvent pas directement des compétences du Bureau politique ou du Bureau exécutif. Sur demande du Président et/ou du Secrétaire général, la Commission de discipline intervient alors pour juger ses paires. Le but : mettre en place une sorte de conciliation, de médiation.
L’échelle des sanctions est graduelle : relaxe, avertissement, blâme et, en cas de récidive, exclusion (rarement prononcée). La Commission fonctionne ainsi pendant une quinzaine d’années. Cette instance, tout comme les principales du parti, se réunit plus ou moins régulièrement. Contrôlée par Jean-Marie Le Pen, la plupart des décisions sont prises en dehors du BP et sans consultation préalable de ses membres, contrairement à ce que stipulent les statuts.
Au moment de la scission, elle est mise en sourdine car Yves de Verdilhac part avec Bruno Mégret. Ce sont alors les Bureaux Politique et Exécutif qui se chargent d’exclure les « félons ». Et c’est, en même temps, la période pendant laquelle le FN prononce le plus d’exclusions pour les « manquements graves à la discipline » dont les déviants se sont rendus « coupables » et pour leur participation à des « manœuvres tendant à déstabiliser le mouvement ».
La Commission de discipline sous la présidence de Marine Le Pen
Les statuts de 2011 confirment l’existence de cette « commission de Discipline... et de Conciliation ». Elle n'a pas vraiment changé que ce soient du point de vue de sa composition, de son fonctionnement, de ses objectifs ou, encore, de la nature des sanctions. Elle est, aujourd'hui, constituée d'une présidente, de deux vice-présidents et de 9 membres nommés par la présidente. Si elle peut fonctionner comme simple « organisme d'arbitrage et de conciliation », elle se voit saisit lorsqu'elle « connaît des manquements à l’honneur ou à la probité, des manifestations graves ou répétées d’indiscipline, ainsi que des actions susceptibles de porter atteinte à la stabilité ou à la considération du Mouvement (Compétence et saisine 4. Règlement intérieur) ». Depuis que Marine Le Pen est présidente du FN, elle est convoquée régulièrement. Plus que jamais, elle sert de caisse de résonance au parti d'extrême droite pour sa stratégie de dédiabolisation. Outre ce fait, la situation du FN d’aujourd’hui est nouvelle par rapport au FN lepéniste sur deux autres aspects. Le premier est l’existence d'internet et des réseaux sociaux. La volatilité des propos qui y sont tenus accentue la difficulté de contrôler leurs auteurs, en l'occurence les militants du FN.
Le second aspect est certainement le plus important : il s'agit du déficit de la formation interne dispensée aux futurs et actuels cadres FN. Même si le parti fait un effort considérable sur ce plan, les nouveaux entrants ne sont pas tous formés et, surtout, suivis par leurs supérieurs hiérarchiques. Aux temps du FN de Jean-Marie Le Pen, la formation politique de la Délégation générale et la formation pratique, dispensée par le Secrétariat général, faisaient figure de domaine de « pointe ». Il s’agissait d’apprendre à bannir les formes les plus primaires du langage pour en venir à des arguments politiques dans le strict respect des lois. De nombreuses mises en situation et exemples concrets (comment rédiger un tract, un communiqué ou, encore, comment réagir à des attaques, etc.) étaient proposés aux futurs candidats. Les formateurs insistaient sur les « pièges médiatiques » tendus par leurs « adversaires ». Le candidat ne connaissait pas seulement la législation française, notamment sur les thématiques xénophobes. Il entendait fréquemment cette phrase, formulée par les formateurs maison : « Si vous êtes responsables, vous engagez tout le monde, y compris le mouvement ».
Les exclusions récentes confirment un dernier point. Elles participent à l'élan actuel, à savoir la mise à mort du FN de Jean-Marie Le Pen. L'exemple de Jean-Christophe Gruau n'en est qu'un parmi d'autres. Au FN depuis mai 2014, cet élu municipal de Laval vient d’être exclu. On lui « reproche », explique-t-il, des « propos tenus avant les municipales, avant même (son) adhésion au FN ». Ils « ont décidé », conclut-il, de « purger le parti de tous les proches de Jean-Marie Le Pen ».