Crise au FN : un remake de la scission mégrétiste ?

Ce 20 mai, au Parlement européen de Strasbourg, Marine Le Pen et son père se croisent. Il ne s'adressent pas la parole. Jean-Marie Le Pen dit ne pas comprendre « la persécution » dont il est victime. Il poursuit au micro de RTL : « J’aimerais comprendre mais personne ne m’explique. J’attends quelques éclaircissements, quelques signaux positifs ».

L'histoire du FN se répète-t-elle ? Le parti d'extrême droite a, depuis sa fondation, fait face à divers épisodes conflictuels. Jean-Marie Le Pen n’a jamais vraiment supporté ses rivaux potentiels. Depuis quelques temps, les déclarations assassines entre Floriant Philippot et l'ancien président du FN ne manquent pas. Outre les attaques liées à sa vie privée, le numéro 2 du FN est accusé d’avoir perverti le FN en y imposant ses idées, notamment « gauchistes ». Jean-Marie Le Pen insiste également sur l’emprise qu’exercerait le vice-président chargé de la stratégie et de la communication sur sa fille. « Elle ne doit pas laisser des apparatchiks s'emparer de l'appareil. C'est Philippot ou Le Pen, un des deux, il faut que les choses soient claires », affirme-t-il.

De nouveau, certains rapprochements peuvent être établis avec la fin des années 1990 lors de l’épisode de la scission mégrétiste. Le divorce politique entre les deux hommes forts du parti se déroule alors que le FN est en pleine dynamique électorale. Depuis février 1997, Vitrolles est la quatrième municipalité FN. Aux élections législatives anticipées de mai 1997, le parti obtient près de 15% des suffrages… et quelques mois plus tard, en décembre, Jean-Marie Le Pen récidive sur le « détail ». Le décor est idéal : le président du FN se trouve alors à Munich. À ses côtés, un de ses hagiographes présente son dernier ouvrage Le Pen, le rebelle. Le Front national, un modèle pour l'Allemagne. Il s'agit de l'ancien Waffen SS et ancien président du parti d'extrême droite allemand des Republikaner, Franz Schönhuber.

Les stratégies entre le président du FN et son numéro deux s'opposent totalement. Celle de Jean-Marie Le Pen multiplie les provocations et expose, de plus en plus, une ligne politique incohérente et disqualifiante pour la suite. L'autre, représentée par Bruno Mégret et ses hommes de main, se focalise sur deux aspects : l'avenir du Front national (sans Jean-Marie Le Pen) et la dédiabolisation du parti.

Un élément historique s'impose : la vision politique de plus en plus clivante de Jean-Marie Le Pen. Bruno Mégret veut mettre en place un système politique ambitieux. Les proches de Jean-Marie Le Pen désirent, eux, camper sur les fondamentaux lepénistes dans lesquels ils se reconnaissent pleinement. Dans un entretien (juillet 2013), Bruno Mégret l’explique ainsi : Jean-Marie Le Pen « s’amusait un peu avec ses dérapages qui n’étaient pas accidentels et qui avaient, de surcroît, le mérite de souder le mouvement autour de lui et de le couper du reste de la classe politique. L’épisode des villes a été très révélateur. On a réalisé, à ce moment, que Jean-Marie Le Pen était jaloux du succès des autres. (…) Deux conceptions du parti se sont affrontées : celle d’un parti potiche, purement utilitaire pour servir la personnalité Le Pen (…) Et puis l’autre qui consistait à faire du FN un grand parti comme les autres : des leaders, des locaux, une structure qui existe indépendamment de son président qui est capable de lui survivre ».

C’est pratiquement du copié – collé avec les propos et agissements de Marine Le Pen depuis le Congrès de Tours. À la veille de la scission, Bruno Mégret explique que le FN doit « être crédible » dans sa « démarche » tout comme son projet politique doit « être rassurant » dans son « attitude et discours ». Une stratégie que le Délégué général a mise en œuvre pour la conquête des villes frontistes et qu’il veut appliquer sur le plan national. Une fois que le FN aura atteint le seuil des 20-25 %, continue-t-il, « alors tout sera possible » : il pourra s’imposer comme arbitre de la vie politique française, passer des accords électoraux de second tour « avec ce qu’il restera de la droite ». La suite du scénario prend forme. L’élection de cadres frontistes renforcera le poids politique du parti et contribuera à « déstabiliser et à détruire les partis de la fausse droite », comme cela s’est produit aux régionales de mars 1998. Enfin, un vote FN massif signifierait la dédiabolisation du parti, qui n’est « efficace (...) que dans la mesure où elle semble faire l’unanimité ».

Deux derniers aspects peuvent-être évoqués. Le premier est lié à l'histoire familiale des Le Pen. Lors de la scission de 1998, Jean-Marie Le Pen rompt avec sa fille aînée, alors conseillère régionale d’Île-de-France et mariée à un « chef de la sédition » Philippe Olivier. Va-t-il adopter le même comportement vis-à-vis de Marine Le Pen ? L’ancien président du FN s’est manifestement radouci. Mais il faut garder en tête certains de ses propos à l’égard de Marie-Caroline Le Pen... qui pourraient bien s'adapter à Marine Le Pen : « J’ai l’habitude des trahisons familiales. C’est un peu la loi naturelle qui porte les filles plutôt vers leur mari ou leur amant que vers leur père ». 

Le second concerne directement Jean-Marie Le Pen et, certainement, une de ses dernières batailles politiques. Aujourd'hui, les rôles sont inversés. Jean-Marie Le Pen est le sécessionniste. Et, à chaque fois, dans l'histoire du FN, c'est celui qui a voulu s'émanciper du chef qui a perdu.