Jean-Marie Le Pen est-il trop antisémite pour le « nouveau » FN ?

Jean-Marie Le Pen au siège du Front national, à Nanterre (Hauts-de-Seine), le 22 mars 2015. (GONZALO FUENTES / REUTERS)

C’est certainement un tournant majeur dans l’histoire du FN. Derrière les déclarations assassines de chacun et la scénographie politique à multiples rebondissements, le parti d’extrême droite s’affranchit aujourd’hui bruyamment de Jean-Marie Le Pen. Les sanctions sont tombées : qualité d’adhérent suspendu jusqu’à nouvel ordre, titre de président d’honneur supprimé en attendant une consultation des adhérents du FN. Quelques heures avant, une motion du BP, votée à la quasi-unanimité, condamnait les « propos tenus et réitérés » de Jean-Marie Le Pen. En d’autres termes, le FN se débarrasse de Jean-Marie Le Pen pour ses multiples provocations à caractère antisémite.

 La « dédiabolisation du FN ne porte que sur l'antisémitisme » m'expliquait en 2013 Louis Aliot. Le vice-président du parti continuait ainsi : « En distribuant des tracts dans la rue, le seul plafond de verre que je voyais ce n'était pas l'immigration ni l’islam... D'autres sont pires que nous sur ces sujets-là. C'est l'antisémitisme qui empêche les gens de voter pour nous. Il n'y a que cela. À partir du moment où vous faites sauter ce verrou idéologique, vous libérez le reste. (...) Depuis que je la connais, Marine Le Pen est d'accord avec cela. Elle ne comprenait pas pourquoi et comment son père et les autres ne voyaient pas que c'était le verrou. Elle aussi avait une vie à l’extérieur, des amis qui étaient aux antipodes sur ces questions-là des Le Gallou et autres. C'est la chose à faire sauter ».

« Par le scandale, nous n’avançons pas, nous faisons peur »

Aujourd’hui, c’est bien la stratégie provocatrice et le comportement politique de Jean-Marie Le Pen qui sont visés. Les propos récents de l’ancien président du FN – et réitérés depuis une trentaine d’années - sur les chambres à gaz « détail » de l’histoire ou encore sur le Maréchal Pétain ne sont plus entendables. Depuis le Congrès de Tours (15-16 janvier 2011), le FN de Marine Le Pen veut faire entendre qu’il a changé. S’il s’inscrit indéniablement dans la filiation et la continuité idéologiques du FN du père, sa ligne de conduite tient à se démarquer de celle de Jean-Marie Le Pen. « Nous disons », expliquait Louis Aliot sur les ondes de Sud Radio ce 4 mai, « que par le scandale, nous n'avançons pas, nous faisons peur. C'est par notre travail, par notre programme, par des idées, par la défense de notre ligne économique, sociale, sur la question des immigrés, sur l'islam radical, c'est par cela que nous avançons, pas par le scandale sur des questions qui n'ont plus lieu d'être ».

 L’antisémitisme, un « verrou idéologique »

Le « verrou » se met en place en septembre 1987. Jean-Marie Le Pen déclare, lors de l’émission du Grand Jury RTL-Le Monde, que les chambres à gaz nazies sont un « point de détail » de l’histoire de la Seconde Guerre mondiale. À ce moment précis, une histoire se termine : celle d’un candidat, jugé sérieux pour certains, à la fonction de président de la République. Les propos de Jean-Marie Le Pen, lourds de sens, font subitement basculer l’histoire du Front national. Fin 1987, Jean-Marie Le Pen devient un homme politique infréquentable.

C’est justement cet épisode que le FN ne veut, en aucun cas, revivre. Dès son arrivée à la présidence du FN, Marine Le Pen s'affranchit officiellement de l'antisémitisme et du négationnisme ; une étape indissociable pour une éventuelle normalisation du parti. En même temps, elle préserve des contacts avec l'extrême droite, notamment par le biais de certaines de ses fréquentations comme celle de son ami Frédéric Chatillon (mis en examen pour « faux et usage de faux  », « escroquerie », « abus de bien social » et « blanchiment d’abus de bien social »). Ancien du Groupe Union Défense (GUD) et soutien officiel de la Syrie et du régime iranien, le gérant de l'agence de communication Riwal - prestataire du FN - reste en relation avec des néo fascistes et la mouvance négationniste de Dieudonné M'Bala M'Bala. Précisons également que depuis les cantonales du printemps 2011, le FN se sépare de certains de ses éléments les plus radicaux, affichant notamment leur antisémitisme et/ou leur xénophobie.

La dédiabolisation frontiste ne prend pas à son compte l'immigration et l'islam. L’islamophobie s'est substitué à l'antisémitisme. Et dès qu’elle le peut, Marine Le Pen envoie des signes aux Juifs de France. Dans un entretien paru dans l'hebdomadaire Valeurs actuelles (19 juin 2014), elle s'exprime peu après le énième dérapage de son père (Jean-Marie Le Pen déclarait sur son blog qu'« on fera une fournée la prochaine fois », faisant allusion au chanteur Patrick Bruel) et le succès de son parti aux européennes. La présidente du FN souhaite remettre les choses à leur place. Non seulement, affirme-t-elle, le FN n'est pas un adversaire des juifs mais il est, « dans l'avenir, le meilleur bouclier pour (les) protéger ». Aujourd'hui, le FN se présente comme un rempart contre l'antisémitisme et dit combattre le « seul vrai ennemi, le fondamentalisme islamiste ».

La rupture avec le FN historique se situe, entre autres, sur ce point : les appels à connotation antijuive de Jean-Marie Le Pen représentaient, avant tout, des signes en direction de l'électorat antisémite du FN et de la base du parti. Sa fille, elle, tente de s'attirer les voix de la communauté juive en s'affranchissant ouvertement de l'héritage lepéniste.

Le changement de nom – et du logo - du Front national est à situer sur ce plan de la rupture définitive du FN avec son discours antisémite. Les adhérents du FN pourraient également être consultés sur cette question. Pourquoi pas à l’occasion de cette « assemblée générale extraordinaire des adhérents du FN » à venir dans quelques semaines… pendant laquelle une « rénovation plus complète des statuts du FN » sera proposée aux militants. Il faut savoir que l’article 2 des statuts du FN (15 janvier 2011) porte sur la dénomination « "Front national", ayant pour sigle et abréviation : "FN", et pour symbole une flamme tricolore ».  

Changer de nom, ce serait une nouvelle phase - essentielle et pourquoi pas finale - de la mutation du mouvement, entamée au début des années 2000 par l'équipe de Marine Le Pen. La marque FN ne serait-elle pas trop connotée pour la suite de l'histoire du parti ?