Ariel Sharon: extrait de mon livre "Les années perdues. Intifada et guerres au proche-Orient 2001-2006"

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Extrait du chapitre 1:

Février 2001: Les chefs de Tsahal ont applaudi l’arrivée d’Ariel Sharon à la présidence du conseil. Le nouveau Premier ministre s’est toujours opposé aux accords d’Oslo, accusant Arafat d’être un terroriste sanguinaire. Les électeurs israéliens ont passé l’éponge sur sa visite sur l’esplanade des mosquées à Jérusalem quarante-huit heures avant le déclenchement de l’Intifada. Ils n’ont pas voulu se souvenir de sa démission forcée du ministère de la Défense après les massacres de Sabra et Chatilla, à Beyrouth, en septembre 1982 . Lui n’a pas oublié. Pendant ses dix-huit années de traversée du désert, il a réfléchit, observé et tiré les leçons de ses erreurs passées. Désormais, il tient compte des sondages d’opinion et écoute les conseils des experts en communication. Lorsque Reouven Adler, l’un des publicitaires qui a orchestré sa campagne électorale, lui a proposé d’adopter le slogan : « Seul Sharon apportera la paix ! » il a éclaté de rire avant de corriger : « Pas de pourparlers sous le feu ! » Mais il n’en reste pas moins que les Israéliens veulent entendre de la bouche de leurs dirigeants des mots d’espoir. Au fil des ans, Sharon a réalisé la futilité de lutter becs et ongles contre le processus de négociation avec les Palestiniens. Autant jouer le jeu de la diplomatie si l’on est en mesure d’imposer les règles. Il est plus facile de laisser les pourparlers s'enliser que de s'y opposer. En 1998, Ariel Sharon est allé jusqu'à recevoir discrètement, dans sa ferme, Mahmoud Abbas, le numéro 2 de l'OLP. Un an plus tard, lors du sommet de Wye River, alors qu’il était ministre des Affaires étrangères de Benjamin Netanyahu, il a fait ses premières armes dans l’action diplomatique auprès de l'OLP, sans aller bien sûr jusqu'à serrer la main de celui qu’il a toujours considéré comme un assassin: Yasser Arafat.
Fin janvier, soit deux semaines, avant le scrutin, l’un de ses principaux conseillers, le général de réserve Méir Dagan, lui a présenté un « Projet de lutte contre la violence dans les territoires ». Il s’agit d’un plan de destruction de l’Autorité palestinienne, de neutralisation d’Arafat et de la direction palestinienne. Il s’agit « d’interdire les transferts de fonds à l’Autorité palestinienne, de porter atteinte aux biens et à la fortune personnelle de ses dirigeants. Les membres de l’autorité autonome impliqués dans le terrorisme feront l’objet d’un "Traitement individuel" progressif allant, selon les cas, de l’arrestation […] à l’expulsion hors de la région jusqu’à l’atteinte physique ». En d’autres termes, l’assassinat. Dagan propose par ailleurs d’exécuter des « opérations militaires et "autres " en zone A (autonome) afin de faire passer le message que ces territoires ne sont pas hors jeu ! » Et d’envisager « des opérations psychologiques destinées à encourager la création d’une alternative à l’Autorité autonome en raison de la déception ressentie par la rue palestinienne face aux dysfonctionnement de l’Autorité et du fait qu’il n’est pas possible de parvenir à un règlement politique ». Le tout dans le cadre d’une politique de la carotte et du bâton. Les secteurs où la violence disparaîtrait devant être récompensés par la levée des bouclages.

Ariel Sharon est ainsi sur la même longueur d’onde que Mofaz et Yaalon. Il sait qu’il peut compter également sur le patron du Shin Beth, Avi Dichter, qui a une vision identique du conflit en noir et blanc. À 48 ans, il a été nommé l’année dernière à la tête du service après le départ d’Ami Ayalon. Ehoud Barak l’a préféré à Israël Hasson, un modéré considéré comme proche des services de sécurité palestiniens. Comme les chefs de l’armée, Mofaz et Yaalon, il est issu de la Sayeret, le commando d’état-major, où il a effectué son service militaire obligatoire avant de rejoindre le Shin Beth. À ses yeux, il n’y a pas de différence entre la direction politique et l’échelon militaire/terroriste des organisations palestiniennes. D’ici la fin de l’année, il saura se débarrasser de Matti Steinberg, l’analyste dont il ne supporte pas les rapports critiques.
En mai 2006, Avi Dichter reviendra sur sa vision d’alors du chef de l’OLP. « Arafat n’a pas contrôlé l’ampleur du soulèvement au contraire de ce que nous disions à l’époque. Arafat n’a pas fomenté l’Intifada. L’Intifada a débuté par un phénomène de boule de neige […] Mais il n’a pas assumé son rôle historique face au peuple palestinien. […] c’était un chef d’État qui n’a pas assumé ses fonctions tel que nous les comprenons. […] des gens qu’il avait nommés et financés se sont transformés en terroristes. Arafat a choisi de ne rien faire et de ne rien dire [contre le terrorisme]. Au contraire de l’image d’un Arafat tout-puissant doté d’une pensée stratégique, à mon regret j’ai vu un Arafat faible, ayant peur de faire son entrée dans l’histoire palestinienne en s’attaquant à une organisation comme le Hamas .»

Note: Depuis, Meir Dagan devenu chef du Mossad a adopté des positions plus colombes. Récemment, encore, il a pris position en faveur d'un accord avec l'autorité autonome pour la création d'un état palestinien viable, sur les frontières de 1967.
et, lorsqu'en 2005, le général Yaalon, devenu chef d'état major de Tsahal, s'opposera au retrait de Gaza, Sharon, Premier ministre le remplacera par le général Haloutz. yaalon est aujourd'hui ministre de la défense du gouvernement Netanyahu