Charles Enderlin réplique à la calomnie
Trop vieux, trop usé, ayant vu trop de morts, compté trop de morts, écrire cette chronique inutile me donne envie de vomir. La faute à Charles Enderlin, journaliste qui n’a pas compris que la seule réponse à l’infamie était dans le silence ou le suicide ; comment ne pas prendre goût à quitter heureux un monde si peu doué pour la vérité ? Depuis dix ans, contre la diffamation et le mensonge, le correspondant de France 2 en Israël se bat avec la volonté d’un résistant de Massada. Et aussi contre la mort professionnelle que des forcenés lui promettent.
Horreur en différé
Le drame commence le 30 septembre 2000 à Gaza. Jamal al-Dura, accompagné de Mohamed, son fils de 12 ans, sort de chez un marchand de voitures d’occasion. Au carrefour de Netzarim, le père et le fils sont pris dans des tirs. Le père tente de protéger son enfant. Jamal est blessé, Mohamed est mort. Talal Abou Rahmeh, un caméraman de France 2, filme cette scène d’intifada. Le soir, Enderlin récupère les images et les diffuse dans son sujet du 20 heures. L’horreur en différé.
Auteur du film, Abou Rahmeh est un journaliste d’expérience honoré de deux Rory Peck Awards (un prix qui récompense les reporters arabes indépendants qui prennent des risques). Mieux, les services israéliens jugent « clair comme de l’eau de roche » qu’il puisse bénéficier d’une carte de presse et d’un laissez-passer officiel. Rahmeh est formel : « Mohamed a été tué par des tirs provenant d’un fortin tenu par les soldats israéliens. » Dans cette guerre où les enfants meurent aussi, en nombre, la disparition de Mohamed ne peut être comptée comme une perte ordinaire. Les images de France 2 ont fait le tour du monde. Soulevant le coeur de ceux qui en ont un. En Israël, deux indignations s’affrontent entre ceux qui refusent d’être citoyens d’un pays qui tue de petits Mohamed et les autres, qui trouvent moins compromettant de nier la mort elle-même
Réalité niée
Un mois après la tragédie de Netzarim, Nahoum Shahaf et Yossef Doriel – qui tient beaucoup à son titre d’« ingénieur » – lancent une campagne à laquelle les plus zélés des désinformateurs n’avaient pas songé : « Le petit Mohamed n’est pas mort. Tout cela est du cinéma. » Au départ, même s’il n’est pas du genre à rire dans les cimetières, Enderlin se marre. Ce Doriel est un type qui a des difficultés à admettre les vérités de l’Histoire. Ainsi, il nie la réalité du crime contre Yitzhak Rabin et fait partie de ceux qui proclament qu’« au moment de signer les accords de Camp David avec Sadate Begin avait été drogué »…
Mauvais canular
Très vite, c’est un Enderlin éberlué qui voit le mauvais canular prendre de l’ampleur. Alors qu’après la mort du petit al-Dura le général Giora Eiland, chef des opérations du secteur, déclare : « les tirs proviennent apparemment des soldats israéliens », d’autres membres de l’armée accueillent « l’ingénieur » Doriel pour un simulacre de reconstitution de Netzarim dans le Néguev, une région désertique du sud d’Israël ! Opération si grotesque que le quotidien Haaretz écrit : « En se livrant à cela, l’armée s’est tiré une balle dans le pied. » En France, les élucubrations de Doriel et Shahaf font écho. Surtout que l’acuité des bouquins qu’Enderlin publie par ailleurs sur la guerre faite en Palestine dérange.
Des journalistes, Denis Jeambar de l’Express, Daniel Leconte d’Arte et Luc Rosenzweig, un ancien du Monde, se rendent en catimini chez Arlette Chabot, patronne de la rédaction de France 2 à l’époque, pour obtenir la peau d’Enderlin ! Sous la baguette d’un certain Philippe Karsenty, inconnu au bataillon des médias, les Alain Finkielkraut et Richard Pasquier s’installent aux grandes orgues. Point culminant, l’attribution du « prix Goebbels de la désinformation » au correspondant de France 2. Lui-même juif et citoyen israélien ! Dans son livre Un enfant est mort, en « esperado » de la vérité, Enderlin remet enfin à leur place – en bout de table – tous ces gentils garçons. Comme ce Luc Rosenzweig. Qui lui a un jour écrit cette douceur : « Je continuerai à faire que tu en crèves, professionnellement s’entend. » Enfin un vrai argument.