Stratégies régionales
Livre
Charles Enderlin sur l'essor du Hamas et de l'islamisme dans la bande de Gaza.
Israel a sa part de responsabilité dans la poussée de l'islamisme au Proche-Orient et l'émergence du Hamas en particulier. L'instrumentalisation politique de l'extrêmisme religieux palestinien a échoué au fil du temps car les Israéliens n'ont pas su ou voulu interpréter les prêches dans les mosquées gazaouites. Celle qui se voulait une organisation caritative dirigée par un cheikh paraplégique pour soutenir une population désorientée par la victoire israélienne a laissé graviter autour d'elle les éléments factieux qui étofferont la branche la plus radicale des Frères musulmans . L'année 1967 est une balise incontournable pour comprendre le leurre des gouvernements successifs en Israel peu enclins à la prise en compte de rapports contraires à la politique officielle ou officieuse, émanant d'officiers ayant flairé la supercherie. Autant de faits assemblés laborieusement comme un puzzle par Charles Enderlin, correspondant de France 2 à Jérusalem, dans Le grand aveuglement (1) ,un ouvrage foisonnant d'anecdotes et de précisions, riche aussi par l'analyse poussée du nationalisme religieux dans le conflit israélo-palestinien.
Le double jeu d'Israel illustre la léthargie dans laquelle s'enfoncent les services de renseignement israéliens , bernés par le cheikh Yassine et ses fidèles, d'ordinaire fins limiers et analystes redoutés dans la lecture des stratégies régionales au Proche-Orient. Pour les Israéliens, les années soixante dix et quatre vingt s'illustrent par la lutte contre le mouvement nationaliste palestinien, autrement dit l'OLP, et ses mouvances satellitaires .Parallèlement, contenir une éventuelle révolte dans les territoires palestiniens impliquait de bétonner en soutenant l'antidote au mouvement d'Arafat.De Rabin à Sharon, ils se sont tous égarés face à une organisation qui préconise la destruction de l'Etat hébreu et l'instauration d'une Palestine islamique en prônant le djihad pour parvenir à une solution de la cause palestinienne. Begin misait , lui, sur l'annexion pure et simple de la bande de Gaza! De l'exil forcé d'islamistes ou de proches du Hamas au sud Liban à l'afflux de subsides sous tutelle israélienne, en passant par l'obsession acharnée de Sharon à en finir une fois pour toutes, la cécité de la classe politique israélienne est troublante. Elle déligitimera progressivement l'Autorité palestinienne avec la conquête progressive par le Hamas de la rue , des masses et des bastions délaissés par l'occupation israélienne avec le retrait unilatéral d'août 2005.
La lecture des évènements faite par Enderlin affine la réalité cauchemardesque des liaisons dangereuses entre Israel et l'islamisme radical palestinien. Le Hamas, acteur désormais incontournable de la politique régionale au Proche-Orient par sa victoire aux législatives de janvier 2006, est opposé à une solution à deux Etats. Enderlin dévoile par ailleurs l'une des raisons de l'échec de Camp David qui aurait dû raffermir l'Autorité palestinienne et sa police dans les territoires palestiniens: le refus d'Arafat à accepter une autonomie municipale limitée à Jérusalem-est , et non contrairement à l'idée répandue, du droit au retour des réfugiés.
Reste que l'extrêmisme religieux s'implante de part et d'autre . Parfois avec le concours des Etats Unis , parfois par le modelage de stratégies ambigûes.Le parallèle établi par Enderlin avec la progression de l'islamisme au Pakistan ou en Afghanistan peut paraître excessif mais révélateur par sa portée: la "menace islamiste" a été sous-estimée par les occidentaux. Le Hamas est sorti renforcé de cette évolution idéologique. L'occupation israélienne de territoires palestiniens a fait le lit du fondamentalisme au point de rendre irréaliste un accord de paix entre Israel et le Hamas. Pire, de part et d'autre, le renforcement du sentiment religieux s'accroît avec en Israel, l'émergence d'un courant "néosioniste" visant à replacer la religion au coeur de l'identité, et à Gaza ,où la haine, le désespoir et la pauvreté font le terreau de l'islamisme. La religion et à travers elle le fondamentalisme des deux bords sont autant de raisons du blocage du processus de paix dans un conflit qui prend désormais une tournure délibérément religieuse.
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(1) Le grand aveuglement. Israel et l'irrésistible ascension de l'islamisme radical , de Charles Enderlin, Albin Michel 2009, 378 pages.
