Depuis les années 50, certains quartiers de Washington D.C subissent une transformation urbaine et démographique. La rue U, située dans le nord-ouest de la capitale, en est un exemple.
Dans les années 1950, la ségrégation sévissait dans le pays, séparant les communautés blanche et noire. La capitale américaine était organisée de sorte que les Noirs habitaient en banlieue, notamment dans le nord-est de Washington D.C. U street était l'un des quartiers emblématiques de la communauté afro-américaine. Aujourd'hui, cette rue connaît une hétérogénéité démographique.
Un quartier mondain pour la communauté noire
La famille Lee en est un des visages. Depuis 1945, quatre générations se sont succédées dans l'unique boutique de fleurs de la rue. Elle a connu les grands moments de l'Histoire pour l'égalité des droits des personnes noires, depuis la fin de la ségrégation en 1964 à l'élection du premier président noir des États-Unis en 2009, en passant par l'assassinat de Martin Luther King, le 4 avril 1968.
"U street était une frontière. Les personnes noires n'avaient pas le droit de se rendre en centre-ville, habité par les Blancs, raconte Stacie Lee, 54 ans, petite-fille du premier propriétaire de la boutique 'Flower Shop'. Dans les années 1950, il y avait une sorte d'effervescence qui animait le quartier, où la classe moyenne fréquentait les restaurants, les clubs de jazz et les trois cinémas du quartier." U street était alors surnommé le Black Broadway.
En 1945, ses grands-parents, William P. Lee et Winnifred Lee, achètent le bâtiment où ils y établissent leur boutique de fleurs. Leur affaire prospère jusqu'en avril 1968, date de l'assassinat de Martin Luther King. Durant trois nuits, plusieurs magasins sont brûlés suite aux affrontements entre des policiers blancs et les activistes des droits des Noirs. "On a dû mettre un panneau sur la porte pour dire que c'était un magasin tenu par des Noirs...", se souvient Stacie, alors âgée de 5 ans. Après cet épisode, les activités commerciales de la rue ont été abandonnées sous les cendres.
1968, l'année du basculement
À partir de cette date, les classes moyennes et riches s'exilent, laissant le quartier entre les mains des vendeurs de drogue et des prostituées. Jusqu'à la fin des années 1980, la violence règne sur le quartier, faisant de Washington D.C l'une des villes les plus dangereuses du pays.
Seuls trois établissements ont survécu au déclin : l'Industrial Bank, la banque de la communauté noire, installée en 1938, le Lee's FlowerShop et le Ben's Chili Bowl crée en 1958. Ce célèbre restaurant de hot-dogs, reconnaissable à sa devanture jaune, est un lieu prisé par les personnalités de la communauté afro-américaine. De Martin Luther King à Barack Obama en passant par Usher, ils ont tous goûté au fameux hot-dog à la sauce piquante.
Virginia Ali est propriétaire du restaurant avec son mari (décédé en 2009) depuis sa création en 1958. Aujourd'hui âgée de 83 ans, elle raconte avec précision la fin de la ségrégation et le début de l'intégration des Noirs dans la société américaine. Un souvenir en particulier lui revient en mémoire : "Pendant les trois jours d'altercations entre les autorités et le peuple noir, nous étions le seul restaurant à rester ouvert jusqu'à 3 heures du matin, malgré le couvre-feu imposé (de 21h à 7h du matin). À l'époque, nous étions déjà très populaires."
La période des années 1968 à 1988 ont été particulièrement difficiles pour le restaurant. La population du quartier ayant changée, les clients respectables ont laissé place aux délinquants. "Après la mort de Martin Luther King, le quartier est devenu un ghetto, un couloir pour la drogue. C'était très effrayant", décrit-elle.
L'arrivée du métro, un nouveau souffle pour le quartier
Stacie est formelle, ce qui a sauvé le voisinage c'est l'arrivée du transport en commun souterrain : "Avec l'installation du métro, les prix immobiliers se sont envolés, de nouvelles personnes issues de diverses communautés culturelles sont arrivées." Une information confirmée par Virginia : "En 1958, on ne voyait pas d'étrangers ici." Les nouveaux habitants ont permis une re-dynamisation des rues autour du U street en lançant de nouveaux commerces.
Quelques mètres plus loin sur le même trottoir, Julian Everett est l'un de ces nouveaux visages. Il a ouvert son commerce en tant que coiffeur-barbier pour hommes, il y a un an. Lui-même remarque un changement démographique, encore perceptible aujourd'hui. "De plus de plus de personnes aisées, de tous horizons, investissent dans le quartier, ce qui est bon pour mon business. Je voulais, moi aussi, faire partie de cette nouvelle croissance économique."
Yelen Bonhomme-Allard & Aliénor Vinçotte